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Accueillis, en effet, avec une extrême faveur, ces tableaux furent comme une révélation pour notre école de paysagistes, et un stimulant aux tentatives de rénovation qui commençaient à l’agiter. Les toiles de Constable placées d’abord dans la Grande Galerie avaient été ensuite, sur l’ordre du comte de Forbin, admises aux honneurs du Salon carré. Dans une de ses visites, le Roi les remarquait et une médaille d’or leur fut décernée. Un compatriote de l’artiste était heureux Je lui écrire qu’il avait entendu un amateur les signaler à un de ses amis, en disant : « Regardez ces paysages d’un Anglais ; on croirait y voir la terre couverte de la rosée du matin. » Wilkie, en ce moment à Paris, témoin des succès qu’y obtenait Constable, manifestait en Angleterre son étonnement qu’un artiste de cette valeur ne fût pas encore membre de la Royal Academy.

C’étaient là pour le peintre de précieux encouragemens, et ses œuvres de cette époque portent l’empreinte de sa vigoureuse originalité et de sa maîtrise. Ce sont comme autant de types dans lesquels il a résumé les aspects les plus caractéristiques de la contrée où il vivait. Si pittoresque que soit cette contrée, elle n’a rien de grandiose, ni de bien rare ; mais elle est aimable, variée, proportionnée à l’homme et, dans la succession des occupations agrestes que ramène pour lui le cours des saisons, elle nous le montre partout présent et actif, lui communiquant par son travail la fécondité et la vie.

La ferme de la Vallée est à la fois un témoignage significatif du talent de Constable et de son amour pour son pays natal. Cette ferme était appelée la Maison de Willie Lott, du nom de son propriétaire, qui, pendant les quatre-vingts ans qu’il l’habita, ne s’en était jamais éloigné pendant plus de quatre jours. Bien souvent Constable a peint ou dessiné cet amas de constructions déjetées et branlantes, dont les pieds baignent dans le Stour, avec les saules et les ormes penchés au-dessus du petit cours d’eau. Cette fois il avait voulu exprimer d’une manière complète le charme particulier de ce coin pittoresque. Par une belle journée, sous un ciel lourd, d’un bleu très vif, mais presque entièrement rempli de gros nuages, la lumière concentrée éclate çà et là sur les murailles blanchâtres et sur quelques troncs d’arbres vénérables, pressés sur les rives. Parmi les eaux claires, des roseaux tremblent agités par le courant, et, un peu à l’écart, sur les nappes plus tranquilles flottent des nénuphars jaunes,