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modiques économies, ils s’essayaient tous deux à dessiner ou à peindre les motifs ingénus qu’ils découvraient autour du village ou dans les jardins environnans, ils s’exaltaient mutuellement dans leur commune admiration.

John Constable avait été d’abord destiné par sa famille à l’état religieux : mais, à raison de sa santé et de l’absence de vocation, son père s’était ensuite décidé à faire de lui son successeur dans l’exploitation de deux moulins à vent qu’il possédait près de Bergholt et d’un moulin à eau dont il avait hérité d’un de ses oncles, à Flatford, également dans le voisinage. Les stations prolongées faites par le jeune homme dans les moulins de son père, afin d’en apprendre et d’en surveiller le fonctionnement, n’avaient eu pour lui d’autre résultat que de développer davantage encore son amour de la nature. On le voyait accoudé à leur balustrade, passant de longues heures à regarder le ciel, à observer les formes et les couleurs changeantes des nuages, la lenteur ou la rapidité de leur course, afin de déduire de cette observation des pronostics sur le temps probable et par conséquent sur la mise en mouvement des grandes ailes du moulin, au gré des souffles épars dans l’atmosphère. Outre le profit qu’il pouvait tirer de cette étude en vue de sa profession, il y trouvait un charme extrême. En essayant de fixer par des notes ou des croquis le souvenir des spectacles auxquels il assistait, il apprenait à se rendre compte des modifications fugitives que les jeux de la lumière apportent dans le caractère d’un même paysage, dans les aspects tour à tour rians ou sévères qu’il prenait successivement sous ses yeux. C’était là un élément de vie et d’intérêt dont il pouvait constater l’importance et apprécier l’action jusque dans les moindres détails pittoresques. La nature lui semblait, avec le temps, toujours plus riche, plus attrayante, et il sentait plus impérieusement aussi croître le désir de consacrer son existence à en pénétrer et à en exprimer la beauté intime. Mais sans aucun guide, obligé de se faire seul son éducation artistique, il devait rencontrer bien des difficultés, subir bien des découragemens.

Vers 1795, la présence à Dedham de sir George Beaumont, l’amateur bien connu, qui venait voir sa mère dans le domaine qu’elle y possédait, offrit à Constable un secours inattendu. Mis au courant de la passion irrésistible qu’il avait pour la peinture, sir George s’était intéressé à lui. Il lui donnait quelques