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succession des terrains y sont exactement établies, les colorations, en revanche, restent le plus souvent conventionnelles. Sur les premiers plans d’un ton roussâtre, traités d’une façon expéditive, s’étalent quelques plantes au large feuillage, et des arbres bruns ou jaunes découpent sur l’azur du ciel ou reflètent dans le bleu plus sombre des eaux la rondeur un peu uniforme de leurs silhouettes. Çà et là des animaux, le plus souvent des vaches, jettent une note claire et piquante parmi les végétations. Une large entente de l’effet assure l’unité de ces paysages ; mais cette science de l’effet dérive chez Gainsborough de son instinct de peintre et d’une observation attentive de ses maîtres préférés plutôt que d’une étude directe et sincère de la nature. Voulant donner plus de force à son exécution, il a recours à des procédés que jusque-là aucun artiste, — excepté Rembrandt vers la fin de sa vie, — n’avait employés. Dans une conférence faite après la mort de Gainsborough sur sa manière de peindre et le caractère de son talent, Reynolds, alors président de la Royal Academy, signalait à ses auditeurs la nouveauté de cette technique où le couteau à palette, les empâtemens accumulés et les grattages successifs jouent un rôle important et procurent parfois des hasards heureux. « Si de près, ajoutait-il, cette apparence de grossièreté et d’incohérence choque dans sa facture, à une certaine distance, par une sorte de magie, ces touches un peu brutales se tempèrent ; elles accusent des formes et un dessein suivi. Ce qui semblait l’effet d’une négligence hâtive révèle une véritable science. » En revenant ainsi à diverses reprises sur ses tableaux et en les surchargeant, l’artiste devait inévitablement en compromettre la bonne conservation. Mais si un certain nombre d’entre eux ont un peu noirci, d’autres ont gardé leur franchise d’aspect, grâce au contraste des bleus et des bruns qui en forment l’harmonie dominante.

Les éloges et la sympathie que Reynolds prodiguait à Gainsborough, dans la conférence dont nous venons de citer un extrait, étaient tardifs. De son vivant, à en croire une anecdote, d’ailleurs un peu sujette à caution, il ne l’avait pas jugé avec une si haute impartialité. On rapporte, en effet, qu’exaltant à plaisir le talent du paysagiste au détriment de celui du peintre de portraits, Reynolds, à la fin d’un dîner offert par les artistes à son rival, l’avait, en portant un toast à son honneur, proclamé « le premier paysagiste de son temps. » Sur quoi, Wilson, qui assistait à ce