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création des jardins anglais dans lesquels, rompant avec la symétrie et la raideur géométrique jusque-là en honneur, les décorateurs des résidences princières s’appliquaient les premiers à respecter la nature, atteste le goût croissant qu’on avait pour elle vers le milieu du XVIIIe siècle. Il semble donc que tout fût préparé pour l’avènement d’une école de paysage en Angleterre, et Horace Walpole l’annonçait lui-même dans son Essai sur l’Art des Jardins modernes, paru en 1770. « Nous avons assez fait, disait-il, pour obtenir cette école, telle qu’on ne saurait trouver la pareille sur le reste du globe ; s’il y a parmi nous le germe de quelque Claude Lorrain, de quelque Gaspard Poussin, il doit éclore. Si des bois, des eaux, des bocages, des vallons, des clairières peuvent inspirer des poètes et des peintres, c’est ce pays, c’est ce siècle-ci qui doivent les faire naître. »

Mais l’art avait longtemps tardé à profiter des ressources que la nature lui offrait en Angleterre avec une si généreuse prodigalité : falaises grandioses de ses côtes, ciels lumineux et changeans, verdure éclatante de ses prairies, arbres de fière tournure qui se pressent sur les bords de ses cours d’eau, dans ses parcs séculaires ou ses forêts respectées. Les peintres restaient indifférens à tant de beautés pittoresques et quand, après s’être, à ses débuts, acquis une certaine réputation comme portraitiste, Richard Wilson s’avisa, le premier, de demandera la nature les motifs de ses tableaux, c’est en Italie qu’il alla les chercher. Pendant les cinq ans qu’il passait à Rome, encouragé, aidé même par Joseph Vernet, il amassait les nombreuses études qu’à son retour à Londres, en 1755, il utilisait dans des compositions mythologiques froides et apprêtées, telles que la Mort des Niobides qui, exposée en 1760, lui ouvrait les portes de la Royal Academy, fondée cette année même. Mais le style et l’aspect austère de ces peintures, pas plus que le caractère peu endurant de leur auteur, n’étaient faits pour lui assurer la faveur des grands personnages. On raconte, en effet que, froissé par le marchandage d’un de ses tableaux qui lui était demandé pour le Roi, il avait répondu à l’offre d’un rabais qu’on lui proposait, que « si Sa Majesté était embarrassée pour le paiement, Elle pourrait prendre des délais. » Aussi Wilson avait-il connu la gêne ; et, obligé pendant longtemps de se contenter des prix les plus modiques pour ses œuvres, il exécutait jusqu’à quatre ou cinq répétitions de celles qui avaient obtenu quelque succès.