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Je voulais par ces réflexions graver plus profondément dans le cœur du jeune prince son amour pour Madame Thérèse, et l’affermir dans la résolution de s’occuper constamment du bonheur de son épouse. J’ai lieu de croire qu’elles ont produit leur effet. »

Le 29, le Roi fit partir le duc de Guiche, en l’invitant à aller devant soi jusqu’à ce qu’il rencontrât la voyageuse et en le chargeant pour elle de ce souhait de bienvenue :

« C’est avec le sentiment de la plus douce joie que je vous écris cette lettre, ma chère enfant. Le moment où le duc de Guiche vous la remettra, précédera de bien peu celui où je vous recevrai après un si long espace de temps et tant de malheurs communs. Je vous l’ai souvent dit : je n’ai pas la présomption d’espérer vous les faire oublier ; mais du moins ma tendresse, mes soins ne négligeront rien pour vous en adoucir le souvenir, et j’espère recevoir de vous le même soulagement. J’en trouve le gage dans toutes vos lettres. Celle que vous m’avez écrite de Thérèsepol me prouve votre confiance, et c’est de tous les sentimens celui dont un père est le plus jaloux de la part de sa fille. Les autres appartiendront bientôt à mon neveu ; il les méritera par les siens, et plus je les verrai réciproques envers vous, plus je croirai qu’il peut encore y avoir du bonheur pour moi. » La journée du 3 juin, qui fut celle de l’arrivée de Madame Royale à Mitau, peut être considérée comme la plus heureuse de toutes celles qu’avait vécues Louis XVIII, depuis sa sortie de France. La veille, il avait eu la satisfaction de serrer la Reine dans ses bras[1]. Bien qu’ils n’eussent pas toujours vécu dans l’union parfaite, il se réjouissait de la voir se réunir à lui en un moment aussi solennel. Ils allèrent ensemble, au-delà de la banlieue de Mitau, au-devant de leur nièce, le Duc d’Angoulême avec eux. La première, elle vit leur voiture, fit arrêter la sienne et, se précipitant au-devant du Roi qui mettait pied à terre aussi vite que le lui permettait son obésité, vint tomber à genoux devant lui. Il la releva, la pressa contre son cœur, la poussa vers la Reine qui, l’ayant embrassée, la céda au Duc d’Angoulême. Très ému, très pâle, « le jeune homme » ne put que balbutier quelques mots en baisant la main de sa cousine ;

  1. Pour ne pas allonger ce récit et ne pas détourner de ce qui en fait le principal objet l’attention de mes lecteurs, je dois passer sous silence les incidens qui précédèrent et suivirent l’arrivée de la Reine.