Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup ; cela serait même d’un mauvais effet en ce moment-ci. Mais, quoique cette observation soit importante, les choix le sont encore davantage. Souvenez-vous à présent que c’est votre frère, votre plus ancien ami, le père de votre belle-fille, le second père de votre fils, qui vous parle. Si nous étions encore à Versailles, nous pourrions, tout en faisant mal, risquer de certaines choses, car notre choix donnerait quelque considération aux personnes peu recommandables sur lesquelles il tomberait. Mais, aujourd’hui, c’est à nous-même qu’il faut qu’il en donne, et la naissance, les services de famille, les plus anciennes liaisons d’amitié, l’amabilité, les grâces ne peuvent compenser la réputation. Malheureusement, celle de Mme de G… qui n’était pas bonne en France, ne s’est pas raccommodée depuis. Songez que votre belle-fille est et doit demeurer un ange de pureté ; que, quel que soit l’éclat d’un diamant, son entourage peut lui en faire perdre et que la faute en retombe sur le joaillier. Quelle déconsidération un choix qui serait généralement blâmé, il ne faut pas vous faire illusion, ne jetterait-il pas sur vous, et dans la position actuelle sur moi !

« Si les raisons que je vous donne ne vous paraissent pas assez puissantes, je vous demande comme une marque d’amitié, comme une grâce de ne pas faire un pareil choix. Vous m’avez dit que vous n’aviez pas d’engagement positif ; ainsi, vous ne devez pas éprouver d’embarras. Mais, si cela était, je m’offre à vous ; jetez tout sur moi ; l’amitié me fera supporter tous les désagrémens du rôle de victime expiatoire… Réfléchissez bien, je vous prie, à Madame de V… Ses qualités personnelles, auxquelles je rends avec un grand plaisir la justice qui leur est due, n’empêchent pas que son nom, beau en lui-même, bon à montrer aux ennemis de terre et de mer, ne puisse que très imprudemment être, en ce moment, mis en évidence à la Cour, et bien moins à Mitau qu’à Versailles. Une autre considération bien autrement forte est que son mari, que nous ne pourrions pas éloigner d’elle, est un mauvais sujet qui, d’après ce que j’ai ouï dire, avait pris beaucoup trop d’ascendant sur notre jeune homme… Je viens de remplir une tâche bien pénible ; mais je vous devais franchise. »

Louis XVIII, en cette occasion, aurait pu parler en Roi et ordonner ; il avait préféré parler en frère et presque supplier. Le Comte d’Artois ne lui en sut aucun gré. Depuis un certain temps