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d’inusité, que je définissais mal au premier abord ? Avec des petites moues particulières, des envies de rire contenues, elles cheminaient ensemble, le nez au vent tiède, l’air de se savoir drôles et de perpétrer quelque farce… Ah ! cela venait de leur coiffure : elles s’étaient fait des bandeaux et des chignons comme les grand’mères. Et, quand elles eurent comprît. à mon regard, que j’avais remarqué, elles répondirent des yeux : « Hein ! n’est-ce pas que nous sommes cocasses ? » et passèrent en riant pour tout de bon.

Quelques pas plus loin, deux vieilles dames… Qu’avaient-elles d’inusité, celles-là encore ?… Ah ! leur coiffure : elles s’étaient fait des bandeaux et des chignons de jeune fillette, avec un léger piquet de fleurs sur le côté, comme en porte Mlle Pluie-d’Avril. Et leur sourire me répondit de même : « Mais oui, c’est ainsi, ne t’en déplaise ! Oh ! nous le savons, va, que nous sommes comiques ! »

Tout le long du chemin, pareille mascarade ; renversement général des coiffures et des âges. (Bien entendu, fallait-il avoir l’œil déjà complètement fait aux japoneries pour recevoir une impression de stupeur telle que la mienne. C’était comme si, chez nous, un beau jour, toutes les aïeules apparaissent en cheveux, avec des nattes dans le dos, et toutes les petites filles, en bonnet tuyauté, avec des anglaises.)

Quelques instans plus tard, dans le faubourg de Dioudjendji, près de mon ancienne demeure. Devant moi cheminait une dame de galante tournure, ayant cette ligne incomparable de la nuque et des épaules qui la décèlerait entre mille : Mme Prune, coiffée aujourd’hui en petite mousmé, en petite écolière, avec un piquet de roses pompon se balançant au bout d’une longue épingle d’écaille !…

Avertie par son flair toujours si sûr, elle se retourna pour me montrer, dans un sourire, l’un des derniers râteliers laqués de noir que Nagasaki possède encore : « N’est-ce pas, — demandaient pudiquement ses yeux baissés, — n’est-ce pas, cher, que ça ne va pas trop mal ? »

— Madame Prune, j’allais vous le dire. Mais je vous prie, expliquez-moi…

Alors elle me conta que, depuis le temps des ancêtres lointains, c’était de tradition que les dames, ce jour du calendrier, fussent coiffées comme les jeunes filles, et les jeunes filles comme les dames.