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chercher ailleurs puisque je n’avais pas quitté le palais. On s’enquit et l’on apprit que M. de Rémusat[1] avait tout conté à sa femme, laquelle s’était empressée d’en informer Chateaubriand. J’ai gardé beaucoup de reconnaissance au Grand Maréchal qui me conserva toujours sa bonté et sa confiance.

Pendant tout l’hiver de 1812, je fus de service auprès de l’Empereur. M. de Narbonne était aide de camp, mon beau-frère écuyer, ma sœur sous-gouvernante du Roi de Rome. Nous logions tous les quatre côte à côte dans le corridor noir. Presque tous les soirs, Sa Majesté faisait entrer le Service chez l’Impératrice et causait avec nous : parler était pour lui une distraction, voire un besoin, mais il lui fallait toujours de graves sujets. Une fois, il s’agissait de Louis XVI, de sa probité, de ses bonnes intentions, de sa faiblesse à prendre un ferme parti, et l’un de nous estima que si, au début, il avait su frapper certaines têtes, il aurait sauvé la sienne et la monarchie. L’Empereur dit : « Ce n’est pas parce que le Roi eût fait disparaître quelques-uns de ses ennemis qu’il eût détourné l’orage ; d’autres les auraient remplacés. Lorsqu’une révolution est mûre, il se trouve toujours des hommes pour accomplir ce que les premiers ont entrepris. La vraie raison, c’est qu’en révolution la grande majorité est composée de poltrons qui cherchent où est la force pour s’y rallier et y trouver appui. Si Louis XVI avait eu le courage d’oser, il aurait fait croire à sa résolution et à sa force, et il aurait pu faire lui-même la part des idées nouvelles, car il n’y a que la force qui puisse se montrer généreuse. En politique, il faut quelquefois faire un pas de plus que l’opinion ; on se met ainsi à sa tête, et on la conduit où l’on veut. Si l’on se laisse au contraire traînera sa remorque, on fait le même chemin, et l’on va même plus loin qu’on ne serait allé. »

Une autre fois, Louis XIV était sur le tapis ; l’Empereur s’intéressait visiblement aux premières années de son règne ; je crus devoir rappeler que Louis XIV, dans ses Mémoires, avait rendu un pieux hommage à le Reine mère pour avoir défendu l’autorité royale pendant sa régence, et vaincu la Fronde en ne cédant ni au peuple, ni au parlement, ni aux princes. Il s’empara de ce souvenir qu’il paraissait chercher et en parla longtemps, avec de claires allusions à l’Impératrice dont on

  1. Préfet du palais et premier chambellan.