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et du fromage, toujours du chambertin. Il dînait tous les jours en tête à tête avec l’Impératrice, sauf le dimanche où il donnait son dîner de famille : jamais de convives à moins de tête couronnée. En revanche, les jours de chasse, il y avait au rendez-vous un grand déjeuner auquel les invités et le service étaient admis : c’était pour lui une occasion de faire politesse aux personnages d’importance.

Il lui arrivait fréquemment de travailler dix, douze, quinze jours de suite sans relâche ; puis il me disait : « J’ai les jambes enflées ; vous voyez qu’il me faut de l’exercice, écrivez à Berthier. » Il fatiguait six ou huit chevaux, se mettait au bain en rentrant, y dînait, se couchait, dormait sept heures et recouvrait des forces pour une semaine.

Dans les voyages, à Fontainebleau, Trianon, Compiègne, Rambouillet, une vingtaine de personnes étaient priées chaque jour à sa table. La dame d’honneur, le Grand Maréchal, le colonel général présidaient celles des invités du voyage ; les souverains, s’il s’en trouvait, avaient les leurs auxquelles ils invitaient à leur gré, ou bien dînaient à celle de l’Empereur. Mais, à l’ordinaire, outre la table de service, il y en avait plusieurs autres. La première, pour le Grand Maréchal qui y déjeunait presque tous les jours, et à laquelle la dame d’honneur, les dames de l’Impératrice, les chambellans, écuyers, préfets du palais, le colonel général et l’aide de camp étaient seuls admis. La seconde était pour les colonels de la Garde, les officiers d’ordonnance, pages, etc. Il est impossible de tenir une grande maison avec plus d’ordre que le Grand Maréchal. Nos valets de chambre ne recevaient des bougies neuves que sur présentation des bouts brûlés. On n’allumait pas de feu dans les pièces avant le 1er novembre. Nos tables étaient splendidement servies, mais au salon nous ne pouvions demander que des boissons fraîches, du madère et des petits pains. Pas un fruit, pas un biscuit, pas une tasse de thé, café ou chocolat. Aussi était-ce une vraie partie de plaisir que d’organiser chez les dames du palais une petite collation. L’une mettait le pot-au-feu, l’autre apportait un jambon ou un pâté de foie gras ; chacun voulait y aller de son plat, et l’on s’abstenait de toucher au bon dîner de l’Empereur pour faire un pauvre souper qui avait la saveur du fruit défendu.

Napoléon ne dépensait que vingt mille francs pour sa garde-robe ; encore se fâchait-il quand le chiffre était dépassé. Il portait