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un grand moyen de gouvernement que les préjugés, et on en a beaucoup trop détruit ; je voudrais bien, pouvoir en créer quelques-uns : c’est la monnaie de plus d’une vertu. Quel malheur que toute corporation religieuse soit dépendante d’un souverain spirituel étranger ! S’il pouvait en être autrement, dès demain je remettrais à des Congrégations toute l’éducation de la France. Jamais vous ne trouverez dans l’Université autant de traditions, d’esprit de corps, de zèle, de dévouement, de bienveillance à si bon marché I »

Je me rappelle aussi la sortie foudroyante qu’il fit un jour à Portalis. J’avais remarqué qu’en se rendant à la séance, il avait l’air préoccupé et mécontent. A peine assis, il éclata : » Que penseriez-vous, messieurs, d’un homme qui, investi de la confiance de son maître, appelé dans ses conseils pour l’éclairer, lui soumettre en chaque chose ses doutes et ses objections, ferait cause commune avec ses ennemis, recevrait la confidence de trames coupables, deviendrait le dépositaire des projets les plus graves d’un souverain étranger, et leur donnerait l’appui non seulement de son silence, mais encore de son concours ? M. Portalis, c’est vous que je dénonce à vos collègues : répondez ! Avez-vous connaissance du bref du Pape qui excommunie l’Empereur ? lui avez-vous donné créance ? l’avez-vous colporté au lieu d’en garder le secret ? Ces messieurs seront vos juges ! » Portalis resta atterré ; à peine put-il balbutier quelques excuses et protester de ses bonnes intentions ; tout le Conseil était interdit. L’Empereur ajouta : « Retirez-vous, monsieur, vous êtes indigne de ma confiance ; votre excellent père est bien heureux d’être mort ; votre conduite l’aurait tué, et c’est encore sa mémoire qui vous protège contre ma juste colère. »

Toutes les séances n’étaient pas si tragiques. Quand la réglementation des polders de la Belgique et de la Hollande vint en question, on discuta plus de trois heures sans parvenir à déterminer la participation de l’Etat, les cotisations, les attributions des conseils de surveillance, etc., car il s’agissait d’intérêts financiers considérables, et le Trésor pouvait être fortement engagé. Plusieurs fois l’Empereur s’était penché vers Cambacérès qui, avec son admirable sang-froid, lui répondait : « Que voulez-vous ? Ils n’ont pas le sens commun ! » A la fin, Napoléon lui dit : « N’avez-vous pas parmi vos jeunes gens quelqu’un qui ait été sur les lieux et qui connaisse bien l’affaire ? — Oui, Sire,