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pas été là. C’était une grande école de gouvernement à laquelle je dois ce que j’ai pu valoir depuis. J’y ai appris à entrer dans l’esprit des affaires, à chercher dans toute mesure l’étroite connexion du principe et des effets, et à ne rien instituer sans cette sûre méthode que j’entendis un jour magistralement formuler par Cambacérès devant le conseil de l’Université. M. X…, homme de savoir et de bonnes lettres avait voulu faire de l’éloquence. L’Empereur, qui n’aimait pas les phrases le laissa aller quelque temps, puis, fit signe à l’Archi-Chancelier de lui répondre : « Monsieur, dit Cambacérès, nous ne sommes point ici à l’Académie ; nous ne sommes que des gens d’affaires et ne devons jamais examiner les questions isolément, mais en considération du but général de notre œuvre, c’est-à-dire du gouvernement que nous servons. Chacun de nos actes est un anneau d’une grande chaîne, qui doit se souder à celui qui précède et à celui qui suit. Le reste est du temps perdu. »

L’intérêt de ces séances, au cours desquelles l’Empereur prenait fréquemment la parole, se prolongeait dans les entretiens du soir où d’ordinaire il admettait le service, et où, la plupart du temps, il causait devant nous, quelquefois avec nous. Il nous jugeait bien ; il avait vite deviné, pour ma part, la sincérité de mon dévouement : aussi fus-je désigné du voyage de Fontainebleau. Mais il y avait alors un an que je vivais loin de ma femme et de mon père, sauf une huitaine de jours, obtenus après les fêtes du mariage ; je demandai donc un congé de six semaines : Dieu sait ma joie de revoir les miens ! A mon retour, je trouvai ma sœur en grand crédit : son mari venait d’être envoyé à Vienne annoncer la grossesse de l’Impératrice, et elle-même d’être adjointe à Mme de Montesquiou[1]. L’Empereur l’avait beaucoup remarquée, mais, sage et discrète, elle avait su résister à ses avances sans blesser son amour-propre. Il l’en récompensa par un intérêt affectueux qui ne s’est jamais démenti.

L’hiver de 1811 fut très brillant. Je fis partie des quadrilles de la reine Hortense et de la princesse Pauline, sans quitter l’Empereur que je suivais partout. Un soir qu’il devait aller au bal chez la reine de Hollande, il fit partir l’Impératrice la première parce qu’il était retenu au travail. A onze heures, il ouvre la porte de son cabinet et me dit : « Rambuteau, vous avez votre

  1. Nommée gouvernante du futur Roi de Rome.