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venue, l’impôt n’aurait pu durer. La guerre renaissant en 1803, il fallut bien revenir à l’impôt extraordinaire aboli l’année précédente, mais ce fut sous sa forme primitive, en cédules, et avec promesse de l’abandonner aussitôt après le dernier coup de canon. La promesse fut tenue ; le Bellérophon avait à peine reçu son formidable captif que l’odieux impôt était solennellement supprimé. Sur la proposition de lord Brougham, tous les livres, registres, documens qui avaient servi au fonctionnement de l’income-tax furent entassés et brûlés, — comme naguère en France les cahiers féodaux, — afin qu’il fût impossible de jamais en retrouver les traces !

Par l’ironie des choses l’income-tax, née de la guerre, devait renaître d’une œuvre de paix entre toutes ; en 1842, lorsque Robert Peel, moralement vaincu par Cobden, céda enfin aux efforts du grand libéral et se résigna à l’abrogation du régime prohibitif pour permettre le libre commerce des blés et pour dégrever considérablement les matières premières et les subsistances, il dut se procurer sur l’heure des ressources considérables, — 110 millions, — en remplacement de celles que les douanes ne donneraient plus au Trésor : il ressuscita l’income-tax, momentanément d’ailleurs. L’impôt qui avait permis à l’Angleterre de venir à bout de Napoléon lui permettait d’affranchir tout un peuple du tribut payé aux seigneurs du sol ; il était la rançon de la liberté commerciale et de l’alimentation publique à bon marché. Le nouvel ordre des choses une fois établi, l’income-tax devait disparaître ; la loi en fixait d’avance la suppression en 1845. Ces circonstances extraordinaires, ces conditions rendirent seules possible le vote de l’impôt, non sans une énergique résistance des whigs, adversaires irréconciliables de l’income-tax, et de lord John Russell, lord Palmerston, lord Brougham, lord Landsdowne, etc.

Cette fois, la traite fut protestée à l’échéance. Quand vint l’année 1845, la situation budgétaire ne permit pas l’abrogation. Sir Robert Peel demanda et obtint à grand’peine une prorogation de trois années, et depuis lors, sans cesse attaquée, décriée, honnie de toutes parts, l’income-tax n’a pu être supprimée parce qu’elle n’a pu être remplacée. On ne remplace pas aisément un impôt existant, quelque odieux qu’il soit, produisant 565 millions de francs par an, — pas plus que la ville de Paris ne peut, quelque radicaux et socialistes que soient ses conseillers