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seulement que le voyage de M. Saint-René Taillandier serait retardé sine die, mais encore que tous les consuls des puissances reviendraient de Fez en emmenant avec eux leurs nationaux. On a dit ensuite, — mais le fait mérite confirmation, — que certains consuls ne prendraient pas part à cette retraite précipitée, et nous nous bornons pour aujourd’hui à signaler ces exceptions. Quoi qu’il en soit, le départ de tous les Européens, ou de presque tous les Européens actuellement à Fez, y serait considéré par le monde musulman comme un premier succès pour la politique chérifienne. L’effet produit serait contraire à celui que nous recherchons. A notre sens, M. Saint-René Taillandier ne devrait pas attendre un jour de plus pour courir à Fez et y tenir tête à l’orage qui se forme, ou s’est formé contre nous. S’il rencontrait une mauvaise volonté obstinée, il serait temps pour lui et pour tous les Européens de quitter une capitale décidément hostile et de rentrer à Tanger. Nous aurions alors à prendre les résolutions que les circonstances comporteraient.

Mais ce qui est arrivé devait arriver. Il était inévitable que le sultan livré jusqu’ici à lui-même, ou plutôt aux influences religieuses qui s’exercent impérieusement sur lui, cherchât à nous échapper. Aussi ne faut-il pas lui en vouloir à l’excès de l’incartade qu’il vient de commettre, mais seulement prendre des mesures pour en prévenir le retour. Quant à notre entreprise elle-même, n’étant pas de ceux qui ont endormi l’opinion publique sur les difficultés qu’elle devait présenter, nous ne sommes pas non plus de ceux qui, lorsqu’elles se présentent, en sont le plus étonnés. On a écrit que le sultan avait été ému et alarmé de ce qui s’est dit à la Chambre et au Sénat pendant la discussion de nos arrangemens avec l’Angleterre ; mais on n’y a parlé que de « pénétration pacifique, » c’est-à-dire de ce qui devait le rassurer beaucoup plus que de ce qui devait l’inquiéter. M. le ministre des Affaires étrangères lui a garanti du haut de la tribune la plénitude de sa souveraineté sur la totalité de son territoire, en ajoutant que rien, dans nos conventions avec l’Espagne, ne portait atteinte à ce double principe. Il semble donc difficile de croire que les incidens marocains soient dus à des imprudences de langage qui auraient été commises à Paris. Ne cherchons pas en dehors du Maroc lui-même les causes de la brusque évolution qu’a subie la politique chérifienne, à supposer qu’il y ait eu là une évolution. Nous nous sommes un peu trop bercés et endormis dans l’optimisme des mots que nous aimions à employer, et nous nous sommes complaisamment imaginé que ces mots agissaient sur les autres de la même