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toutes les portes s’ouvrir devant nos pas. Il a pensé sans doute que les procédés pacifiques conviendraient quelque temps à notre pénétration, longtemps peut-être, et que, s’il survenait quelque accident lorsque nous serions maîtres du sultan et, par lui, d’une partie du pays, nous aurions plus de facilités pour nous en tirer à notre avantage. Peut-être était-ce bien raisonner ; peut-être n’était-ce pas avoir assez bien observé.

Quoi qu’il en soit, voici les faits. Notre ministre à Tanger, M. Saint-René Taillandier, était sur le point de partir pour Fez où, disait-on, il était appelé et désiré par le sultan, lorsqu’il a ajourné son voyage. Les nouvelles qu’il recevait étaient inquiétantes. Le sultan lui a fait savoir qu’il ne pouvait pas répondre de sa sécurité s’il prenait la voie de terre, c’est-à-dire la voie habituelle, celle qu’on prend toujours pour aller de Tanger à Fez : il fallait que notre ministre et sa suite commençassent par s’embarquer à Tanger pour El-Araïche, sur la côte occidentale du Maroc, et qu’ils débarquassent à El-Araïche pour se rendre ensuite à Fez. On savait bien que l’anarchie régnait au nord du Maroc, et qu’elle commençait à quelques kilomètres de Tanger. L’aventure de M. Perdicaris nous a fixés sur ce point. Nous nous demandons néanmoins si le sultan n’aurait vraiment pas pu assurer la sécurité de notre mission diplomatique, et s’il n’a pas préféré nous montrer le mal encore plus grand qu’il ne l’est, afin de nous effrayer et de nous décourager au seuil même de notre entreprise. Mais à cette question, comment faire une réponse tout à fait rassurante ? La prudence conseillait, ne fût-ce que pour éviter de nouveaux délais, d’accepter l’itinéraire proposé par le sultan, et c’est à quoi M. Saint-René Taillandier s’est résolu. Vous préférez, a-t-il dit, que je passe par El-Araïche ; je passerai par El-Araïche.

Il devait partir de Tanger le 24 décembre. Il a appris la veille la nouvelle stupéfiante de la suppression des missions militaires que, depuis de nombreuses années, le sultan entretient auprès de lui, et cela sous prétexte d’économie. La seule mission qui soit en ce moment au complet, c’est la nôtre ; c’est donc sur nous que tombait la décision du sultan, et d’un poids d’autant plus lourd que notre mission militaire était un des élémens essentiels de notre action future. C’est par elle que nous devions organiser l’armée chérifienne, et, grâce à l’organisation qui rendrait cette armée plus forte que toutes les bandes dont le Maroc est rempli, nous espérions que le sultan et nous pourrions nous passer de tout autre appoint militaire. Dans notre pensée, le sultan et la France ne faisaient déjà qu’un. Nous apprenions