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le gouvernement ? Rien, ou bien peu de chose. Il s’est débarrassé de M. le général André, ce qui a été sans doute une satisfaction pour la conscience publique, mais une satisfaction insuffisante, car si M. le général André a été le principal coupable, il n’a pas été le seul, et le mal qui est parti de lui ne s’est pas arrêté là. M. le général André a eu des complices : quelles mesures a-t-on prises contre eux ? Le scandale provoqué par la fiche où M. et Mme  Loubet étaient personnellement pris à partie a amené la même question sur toutes les lèvres. Le dénonciateur, cette fois, était connu ; du moins on croyait le connaître ; il était désigné dans tous les journaux ; c’était le commandant Pasquier. Cependant le commandant Pasquier continuait très tranquillement de remplir ses fonctions de gardien des prisons militaires de Paris. N’y avait-il pas là un défi à l’opinion ?

Hâtons-nous de le dire, M. le ministre de la Guerre a déclaré que le commandant Pasquier n’était pas l’auteur des fiches incriminées. De qui le tenait-il ? Du commandant Pasquier lui-même, qui le lui avait juré « sur son honneur. » La garantie vaut ce qu’elle vaut : M. le ministre de la Guerre l’a acceptée, et nous ne le lui reprochons pas. Les fiches étant aujourd’hui détruites, il est impossible de s’y reporter pour en découvrir l’origine ; et, quand bien même elles auraient été conservées au cabinet du ministre, comme il n’y a jamais eu là que des copies dont les originaux sont restés dans les officines du Grand-Orient, il aurait été encore bien difficile d’en faire une attribution certaine à tel délateur ou à tel autre. Le commandant Pasquier a nié ; il n’y avait probablement qu’à s’incliner. Mais il a nié deux ou trois fiches, celles où M. et Mme  Loubet étaient mis en cause, et il en a avoué plus de deux cents. Quelques officiers, deux croyons-nous, lui ont demandé une réparation par les armes. Puisqu’il invoque son honneur, nous ferons remarquer que ces officiers le traitaient précisément en homme d’honneur, et qu’il aurait peut-être dû leur en savoir quelque gré. Il a pris la chose autrement, et, sous prétexte qu’il avait obéi à des ordres supérieurs, il a décliné toute responsabilité dans l’affaire. Qu’avait-il été ? Un subordonné docile, servile même si on voulait, mais enfin un subordonné ; et c’était au ministre de la Guerre qu’il fallait s’en prendre, si on devait s’en prendre à quelqu’un. Ainsi les explications du commandant Pasquier avaient pour objet, non seulement de le justifier lui-même, mais de justifier un système de délation que le Parlement avait condamné et que la conscience nationale avait flétri. C’était une belle occasion pour le nouveau ministre de la Guerre de donner à l’ordre du jour voté par la Chambre la