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premières entre autres. Aucune ouverture ou introduction wagnérienne, — celle de Lohengrin exceptée, — n’est une au même degré que le prélude de Tristan. Ici comme dans Lohengrin, avec autant de violence humaine qu’il y a là de céleste douceur, l’évolution d’un thème unique, ne procédant et ne s’accroissant que de soi-même, forme le prélude et le remplit. Un seul motif nous saisit et nous broie d’une seule et terrible étreinte.

Il semble bien aussi que la théorie et la pratique du leitmotiv, élément d’unité comme de variété, principe d’analyse mais de synthèse également, soit poussé dans Tristan jusqu’à l’extrême rigueur. On en découvre à chaque audition nouvelle des exemples qu’on n’avait pas soupçonnés et dont la finesse n’étonne pas moins que la puissance. Un des plus beaux, un des plus tendres thèmes de l’ouvrage, cligne du Beethoven des derniers quatuors, est exposé par les instrumens à cordes au cours du duo du second acte, après l’admirable nocturne et le premier appel de Brangaene. Il se développe là dans toute son ampleur. Que si nous passons maintenant au troisième acte, à l’agonie du héros nous retrouverons la mélodie, non plus tout entière, mais berçant de sus premières notes soupirées par le cor et voilées de délicieuses harmonies, l’hallucination de Tristan qui croit voit venir Iseult « durch Meer’s Gefilde, à travers la plaine fleurie des Ilots. » Et lorsque Iseult en effet approche, accourt, arrive, c’est encore au chant, cette fois triomphal, de la mélodie exaltée et vraiment folle de joie. Quelque chose d’elle a changé, mais quelque chose aussi demeure. Elle nous surprend et nous ravit par sa nouveauté ; par sa constance elle nous reprend et nous émeut peut-être davantage. L’œuvre entier de Wagner offre peu de rencontres où se ressente aussi violemment la force et la beauté, musicale et dramatique à la fois, du principe de la symphonie, comme disent les musiciens, ou du principe, diraient les philosophes, de l’identité retrouvée.

Faut-il, après l’unité de l’œuvre, en montrer ou rappeler la puissance ? Alors l’embarras ne sera pas de trouver des exemples, mais de les choisir. La puissance ici réside en chacun des élémens de l’art et comme en tous les modes du son. De la sonorité même, ou de l’orchestration, il est superflu de parler. En outre, il est malaisé de faire, chez Wagner plus que chez tout autre, un départ entre la mélodie et l’harmonie, entre les accords et les chants. Qui dira si le nocturne du second acte est plus extraordinaire par la pureté de chaque ligne sonore ou par la polyphonie qui les rassemble et les dirige toutes sans les heurter ni les rompre. L’harmonie, admirable d’intensité, de