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d’Estaing, avec ses dix vaisseaux réunis, devait attaquer par la passe centrale, dont il était maître.

Le 9, d’Estaing avait fait descendre dans l’île de Conanicut des bataillons de débarquement qu’il comptait faire manœuvrer pendant quelques heures pour les préparer à l’assaut général du lendemain. Le temps était brumeux, comme cela arrive souvent en cette région, même en plein été. Avec le soleil montant, la brume se dissipa. L’amiral découvrit alors au large un spectacle inattendu. Le Protecteur et la Provence se réfugiaient à toute vitesse dans le chenal de l’Ouest, et une escadre de trente-six voiles, dont quatorze vaisseaux à deux batteries, s’approchait de la côte. On devine ce qui s’était passé. Howe, rendu à la liberté depuis le 22 juillet, avait quitté le mouillage de Sandy Hook ; renforcé de plusieurs bâtimens, il s’était mis à notre poursuite. C’était la position de Sandy Hook retournée : nous dans une impasse, les Anglais à la sortie.

Il convient de louer ici la fermeté et surtout la présence d’esprit de d’Estaing. Surpris tout à coup par ce contretemps si fâcheux, imputable avant tout aux retards de Sullivan, il ne perdit pas une minute pour faire face au danger ; sa décision, son énergie, sa rapidité auraient mérité une meilleure récompense.

Il employa la soirée du 9 à s’embosser très solidement dans le cas d’une attaque directe de l’ennemi ; il avait à présent onze vaisseaux : la Provence avait rejoint les autres ; pour le Protecteur, son tirant d’eau l’avait obligé de rester dans le chenal de l’Ouest. La nuit se passa sous les armes, mais sans alertes. Bien que les vents dominans dans la saison, c’est-à-dire les vents du sud, invitassent les Anglais à une attaque, Howe avait mouillé à une certaine distance de la terre. Le 10 au matin, le vent tourna peu à peu pour passer au nord. En un instant, d’Estaing prit son parti : à six heures et demie du matin, signal de se tenir prêt à appareiller ; à huit heures et demie, signal de couper les câbles et de filer au sud.

La sortie était une opération dangereuse. Il fallait d’abord franchir la passe de Newport, où de nouvelles et puissantes batteries avaient été élevées depuis l’avant-veille ; il fallait encore courir le risque de se présenter à l’ennemi les uns après les autres, car l’étroitesse du passage obligeait à sortir à la file ; mais, suivant le mot de d’Estaing, « le combat le plus