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général : il n’était point prêt, ses miliciens étaient encore chez eux, il demandait qu’on l’attendît. La raison était vraie, on sait combien peu les milices américaines avaient le caractère de troupes régulières ; mais peut-être s’y mêlait-il un peu de cette jalousie dont La Fayette prévenait d’Estaing : « Je sens bien qu’il est fâcheux pour certaines gens de voir jouer les belles tirades de la pièce par des acteurs étrangers. Je sens que les Français éclipsent un peu leurs voisins et que les beaux coups de théâtre leur seraient peut-être réservés. L’attaque du général Sullivan, quoique fort importante, serait ce qu’on appelle à la comédie un peu « en robe de chambre, » en comparaison du spectacle que votre flotte et vos troupes pourraient donner. » L’amiral consentit à attendre ; mais, comme il le dit, « on perdit ainsi le précieux instant de l’arrivée, celui où l’on étonne et dans lequel le plus souvent rien ne résiste. »

L’opération commença par une sorte de blocus. Le gros de l’escadre resta à la hauteur de la passe centrale, entre Rhode Island et Conanicut. Deux frégates pénétrèrent dans la passe de l’Est, et y brûlèrent une corvette et deux galères. Dans la passe de l’Ouest ou des Narragansets furent envoyés le Sagittaire, de d’Albert de Rions, et le Fantasque, de Suffren. Les deux capitaines, qui furent souvent des frères d’armes, contournèrent l’île de Conanicut, en réduisant au silence deux batteries ; puis, se glissant entre cette île et l’île de Prudence, ils vinrent brûler quatre frégates et une corvette. Toutes les approches de Newport étaient occupées par nos vaisseaux. Sullivan n’avait plus qu’à apparaître pour cueillir les lauriers qui étaient tout préparés.

On arriva ainsi jusqu’au 8 août. À cette date, l’armée américaine avait fini par être prête ; le moment était venu d’une action vigoureuse. D’Estaing laisse en mer, pour prévenir toute arrivée de secours, le Protecteur et la Provence. Avec les huit vaisseaux qui lui restent, il force la passe centrale, après une vive canonnade avec les batteries de Newport, et il va directement mouiller en dehors de la portée du feu des Anglais. À ce mouillage, il fut rejoint par le Sagittaire et le Fantasque, tandis qu’une troisième frégate avait renforcé dans le chenal de l’Est les deux frégates qui s’y trouvaient déjà. Tous ces mouvemens du 8 avaient été accomplis avec précision et méthode. L’attaque générale avait été remise au surlendemain 10. Sullivan devait attaquer par le chenal de l’Est sous la protection des trois frégates ;