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un personnel qui marchait avec aussi peu d’entrain ; il donnait à d’Estaing le conseil de les faire répondre de leurs manœuvres sur leur tête.

L’amiral était fort impatient d’agir ; il venait d’apprendre l’arrivée très prochaine de l’escadre de Byron, partie d’Angleterre vers le milieu de mai. Pour toutes raisons, il fallait agir sans retard. Or les pilotes déclarèrent à l’unanimité que ce qu’on leur demandait était impossible ; des vaisseaux de soixante-quatorze n’entraient pas à New-York avec leurs canons. D’Estaing en avait six dans ce cas, deux d’une artillerie plus puissante, quatre seulement d’une artillerie inférieure. Il insiste ; les pilotes répondent qu’il n’y a dans la passe que vingt-trois pieds anglais, soit vingt et un pieds et demi de France, alors que les vaisseaux français tirent de vingt-trois à vingt-cinq pieds d’eau. D’Estaing fait vérifier ces dires par des sondages, que des pilotes exécutent sous le contrôle d’un lieutenant de vaisseau, M. de Ribières : la vérification donna sur la barre vingt-deux pieds. D’Estaing essaie d’un dernier argument : il offre cent cinquante mille francs au pilote qui le fera passer ; aucun ne veut accepter.

Alors, le 20 juillet, un conseil de guerre est tenu à bord du Languedoc. L’amiral mit les chefs d’escadre et les commandans au courant de ce qui venait de se passer et constata, une fois de plus, le refus catégorique des pilotes. Il était donc impossible de rien tenter au mouillage de Sandy Hook. Washington avait exprimé le désir que, si l’opération de New-York ne pouvait pas être exécutée, l’escadre alliée se portât sur Rhode Island pour délivrer Newport. L’amiral communiqua à ses officiers les renseignemens qu’il avait sur cette ville et les informa qu’on allait mettre à la voile dans cette direction.

Le surlendemain, 22 juillet, l’escadre française appareillait de la côte de Sandy Hook.

Devant la Delaware, d’Estaing n’avait pas aperçu les Anglais. Devant Sandy Hook, il les avait aperçus, et il ne les avait pas attaqués.

Tout en rendant justice au bon vouloir de d’Estaing, à son désir très sincère de franchir les passes de New-York, on ne peut s’empêcher de dire que sa décision fut infiniment regrettable. New-York était alors la capitale militaire de l’Angleterre aux États-Unis ; y détruire l’escadre de Howe et l’armée de Clinton, c’était tout terminer d’un coup. L’amiral le savait mieux