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richesse, imposant par la largeur de ses rues interminables, par l’aspect monumental de maisons pareilles à des palais, par l’aspect de port de mer que lui prêtent ses docks et les amples flots de la Tamise, tel, après de nombreuses visites, je me remémorais Londres : aujourd’hui je suis pour la première fois frappée de sa beauté. Certes le temps imperturbablement clair, sans un jour de pluie ni de brouillard, y est pour beaucoup ; ce n’est pas tous les ans que les jeunes femmes peuvent porter ces robes blanches qui s’harmonisent avec leur teint rose, leur chevelure blonde, et donnent l’illusion, si c’en est une, que les Anglaises de la classe moyenne, les passantes, s’habillent mieux que jadis. Mais il y a autre chose encore que la magie du soleil. Des quartiers tout entiers dont je me rappelais l’affreuse laideur ont été reconstruits avec un goût que l’on ne trouve pas même dans les beaux quartiers de date plus ancienne, affligés de portiques mesquins, d’alignemens de colonnes fastidieux. L’extension de la ville qui a doublé depuis cinquante ans, au point de compter plus de six millions et demi d’habitans, s’est produite dans des conditions heureuses ; la nature intervient partout, sous forme de grands arbres et de pelouses veloutées, et partout côtoie la civilisation industrielle, commerciale et mondaine. Il n’y a guère de rue qui n’ait pour perspective à l’une de ses extrémités quelque square délicieusement paisible ; de plus en plus la campagne se marie avec les pierres de Londres, elle surgit des pavés, offrant aux citadins un coin d’ombre reposante, et les jardins particuliers s’ajoutent à ces jardins publics. Les riches ne sont pas seuls à en avoir le privilège. Le jardinage aérien sur les toits, sur les fenêtres, singulièrement répandu, encouragé, récompensé, embellit de modestes logis. Dans les rues aristocratiques le luxe des fleurs est poussé au degré suprême ; elles décorent tous les balcons, elles brodent la tapisserie nuancée qu’attache aux murs le feuillage délicat de l’ampélopsis, cet ornement presque indispensable aujourd’hui de l’architecture anglaise, même la plus sévère, puisqu’il pare jusqu’au chevet des églises.

Et ce n’est pas seulement embellies, c’est assainies en outre, moralement assainies que sont les rues de Londres ; on y rencontre beaucoup plus rarement des échantillons de la misère abjecte, ces femmes hébétées par le gin, traînant dans la boue une friperie sans nom, ces hommes en chapeau de soie bossue par les rixes et les intempéries, dont la redingote trouée révèle