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plus extraordinaire que le fidèle Cléry arrivé dans l’intervalle lui avait apporté une lettre d’elle et le récit qu’il venait de consacrer au séjour de Louis XVI dans la prison du Temple et qu’il allait faire imprimer à Londres.

Le 30 janvier seulement, le Roi se décida à rompre ce long silence et à l’expliquer à Madame Royale :

« J’ai reçu, ma chère enfant, votre lettre par Cléry ; je l’ai revu lui-même avec ce tendre intérêt qu’il est toujours sûr d’inspirer à tout bon Français, et j’ai lu son déchirant Journal. Il m’a fait d’autant plus souffrir que j’y ai appris des particularités que j’ignorais sur la barbarie de vos infâmes geôliers. Mais je ne pouvais m’arracher de cette lecture. Tout ce qui me rappelle ce que nous avons perdu, même dans l’état le plus déplorable, me sera toujours cher. Je lisais en même temps votre lettre. Le désir que vous m’exprimiez d’une manière si touchante d’être auprès de moi, adoucissait ma peine : mais je me disais en même temps : — Qui suis-je pour tenir lieu de tant et de si cruelles pertes ? Je n’ai pour moi que ma tendresse pour vous ; mais aussi, ma chère enfant, vous la possédez tout entière. Puisse ce faible dédommagement suffire à votre âme sensible !

« Cette tendresse ne m’a cependant pas garanti d’un tort envers vous. Il y a six semaines que je ne vous ai écrit : mais j’ai passé tout ce temps dans une incertitude complète sur ce que j’allais devenir : certain de ne pas rester longtemps ici, mais ne sachant ni quand j’en partirais, ni où j’irais, et croyant à chaque moment que j’allais en être éclairci. Cette situation était pénible ; je craignais de vous la faire partager en vous la faisant connaître, et je me disais à chaque courrier : — Ne l’affligeons pas aujourd’hui ; je pourrai lui dire quelque chose de plus positif la première fois.

« Je suis bien plus coupable encore, car le même motif m’a empêché de vous envoyer trois lettres du Duc d’Angoulême, et une de son frère, que je joins ici. Enfin mon sort est éclairci depuis deux jours. L’empereur de Russie, avec cette grâce et cette générosité qui caractérisent toutes ses actions, m’a offert un asile dans son château de Mitau en Courlande, et je pars, le 10 du mois prochain, pour m’y rendre avec le Duc d’Angoulême. Son frère partira en même temps, si ce n’est avant, pour l’Ecosse, et reviendra au printemps en Russie. Je vous prie de