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compromettait cette paix, car, on pouvait craindre que maintenant l’Europe refusât de traiter avec un gouvernement qui, pour consolider sa victoire, ne craignait pas de recourir aux procédés de la Terreur. Cette victoire était en outre un désastre pour la cause royale. Tous les projets des émigrés étaient dévoilés, leurs complots, leurs menées, leurs espérances, livrés par des traîtres, odieusement dénaturés par les vainqueurs et dénoncés à la France comme une preuve des alliances coupables contractées par les royalistes avec l’étranger. L’événement était donc lamentable pour le Roi et pour sa cause ; personne ne s’y méprit. La nouvelle en étant parvenue à Vienne, le 23 septembre, Madame Royale se hâta d’écrire à son oncle sans attendre d’avoir été avertie par lui :

« J’ai appris par les journaux avec bien de la peine ce qui vient de se passer en France. Mon Dieu ! si ce qu’ils disent est vrai, vous y êtes compromis avec bien du monde. Il est heureux au moins que jusqu’à présent, il n’y ait pas eu de sang répandu ; mais je crains bien que cela n’arrive. Le bruit même court ici que Pichegru a été tué ainsi que Carnot. Je ne les connais ni l’un ni l’autre, mais il me paraît qu’ils étaient de la bonne cause. La personne qui me fait le plus de pitié dans tout cela c’est la pauvre Duchesse d’Orléans, à qui on avait rendu ses biens et qu’on expatrie à présent, je crois, en Afrique. Celle-là au moins a toujours été vertueuse et malheureuse. Il paraît que ce sont les Jacobins qui triomphent à présent. C’est ce qui pouvait arriver de plus mauvais. Je suis bien curieuse de savoir à présent si la paix aura lieu, si ceux-ci la voudront encore. Je crains que non, parce qu’ils auront peur de leurs armées qui sont mécontentes et qui, rentrant dans la France, y amèneraient le mécontentement. D’un autre côté, cependant, je crois qu’ils ne peuvent pas continuer la guerre car ils ne doivent plus avoir d’argent. Je suis curieuse et empressée de savoir comment les choses s’arrangeront. J’attends avec bien de l’impatience des nouvelles de Paris pour savoir ce qui s’y passe. »

Le Roi répondit : «… J’ai bien reconnu la bonté de votre cœur dans ce que vous me mandez au sujet de ce qui vient de se passer à Paris. C’est sûrement un grand bonheur que cette crise n’ait pas fait verser de sang ; mais je crois qu’il faut l’attribuer moins à la modération des triumvirs qu’à la conscience de leur faiblesse. Je gémis profondément avec vous sur le sort