Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Non, monsieur le comte, Mme Thérèse n’est point passionnée : elle est essentiellement raisonnable ; elle voit et juge les choses de sang-froid, Elle voit que le Roi n’a eu jusqu’ici et n’a même encore qu’un asile précaire et incertain. Elle en a fait elle-même la remarque : « Où aurait-elle pu se réunir à lui ? Est-ce à Vérone d’où on l’a contraint de s’éloigner ? Est-ce à l’armée de Condé où il n’a pu rester ? Est-ce à Blanckenberg d’où un simple signe du roi de Prusse, d’où la seule arrivée de Madame, peut-être, l’aurait obligé de partir et où il est douteux qu’il pût demeurer, si l’invasion du pays de Hanovre avait lieu ? » Voilà. ce que Madame a pensé, ce qu’elle a dit, et ce qui l’a éloignée jusqu’ici du désir et de l’idée de terminer une affaire qui ne lui semble pas devoir péricliter pour être un peu différée.

«… Elle se croit libre, elle veut être libre et toute idée de contrainte ne peut que l’effaroucher. C’est à la gagner et non à presser sa décision qu’il faut porter toutes ses vues. Il serait à craindre, si l’on en usait autrement, non pas peut-être qu’elle prît un autre engagement, sa religion et ses principes l’en défendraient, mais qu’elle différât, qu’elle éludât de remplir celui qu’elle a contracté, tout sacré qu’il lui paraisse encore aujourd’hui… Avec son caractère, si une fois elle se portait à un acte de résistance, ou si l’on veut de désobéissance, il serait à craindre qu’elle n’en revînt jamais et on ne peut douter qu’elle n’y fût appuyée par cette Cour. Enfin, si elle se forçait à l’obéissance et que cette obéissance fût un sacrifice, Mgr le Duc d’Angoulême pourrait-il être flatté, pourrait-il être heureux d’un acquiescement que le cœur de Madame n’aurait pas ratifié ? »

Pour conjurer les tristes conséquences qu’il venait d’envisager sans y croire, il n’était qu’un moyen, disait le marquis de Bonnay, c’était de tout faire pour prouvera Madame Royale qu’elle était aimée. Mais, ce moyen n’était pas à Vienne, où elle vivait seule, retirée, surveillée, ne recevant que de rares visites, toujours en présence de Mme de Chanclos ou de la nièce de celle-ci, Mlle de Roisin, « jeune personne fort aimable et d’un rare mérite. » Ce moyen était à Blanckenberg, dans les mains du Roi et du Duc d’Angoulême. A eux seuls, il appartenait de ne pas se faire oublier et de prouver qu’ils n’oubliaient pas. Essayer d’en convaincre Madame par l’intermédiaire des Français résidant à Vienne serait peine perdue. Les communications de « bouche à bouche, ou même par écrit, » outre qu’elles étaient à peu près