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d’une froideur de glace, très différent du Duc de Berry qui, de plus en plus, se révélait fougueux, violent, emporté, aimant le plaisir, et soldat des pieds à la tête. Ceux qui vivaient dans son intimité rendaient hommage à ses qualités de cœur : la droiture, la bonté, une générosité naturelle doublée d’un courage qu’il avait dans le sang et qui ne demandait qu’une occasion pour se manifester. Mais ils regrettaient qu’elles ne fussent pas égalées par ces dons de séduction, qui, chez le Duc de Berry, rachetaient des défauts bien autrement graves que ceux de son aîné. Ce qui caractérisait les deux frères et les faisait, au moins sur ce point, se ressembler, c’était une paresse d’esprit et une absence totale de goût pour l’étude, qui leur attiraient à tous deux, de la part du Roi, les mêmes reproches.

Le Roi les aimait tendrement. Ayant fondé sur eux de grandes espérances, il s’inquiétait de leur légèreté, encore que leur jeunesse et leur existence si troublée pussent à la rigueur l’expliquer et leur servir d’excuse. Lorsqu’il avait conçu le projet de marier Madame Royale au Duc d’Angoulême, il n’avait pu se dissimuler, en lisant les lettres de sa nièce, quelle était, et de beaucoup, moralement supérieure au mari qu’il venait de lui choisir. Mais, ce n’était pas un motif pour renoncer à une union où toutes les convenances semblaient réunies. Et puis, il se flattait de l’espoir qu’avec le temps l’intelligence du jeune prince se développerait, que son esprit mûrirait. Il se promettait de travailler lui-même à cette œuvre d’amélioration. A cet effet, ayant fait connaître à son neveu, par le Comte d’Artois, dans quelles conditions il disposait de sa personne et de son avenir en préparant son mariage avec sa cousine, il avait ultérieurement manifesté le désir de le voir arriver auprès de lui aussitôt que les circonstances le permettraient.

On ne nous croirait pas, après ce que nous avons raconté dans la première partie de ce récit, si nous affirmions que la décision royale, lorsqu’elle parvint au Duc d’Angoulême à Edimbourg où elle était allée le trouver, eut pour effet de réveiller dans son cœur, en faveur de cette cousine dont il était séparé depuis des années, de vieux sentimens endormis. Le roman imaginé par d’Avaray pour convaincre Madame Royale que la compassion inspirée à son cousin par son infortune s’était transformée en un bel amour d’adolescent était aussi touchant qu’ingénieux et ne pouvait manquer de vraisemblance aux yeux d’une