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des roches verdies, des mousses à reflet de velours, des capillaires aux tiges de crin noir, des petites sources éparpillées sur les feuilles comme des perles de verre.

Ou bien je monte plus lentement par les larges escaliers de granit et les terrasses des temples. — Mais là, le sourire s’arrête, car, soudainement, tout devient grave, et une horreur religieuse inconnue sort des vieux sanctuaires obscurs. Il y a de quoi faire chaque jour quelque découverte nouvelle, dans ces quartiers de silence et d’abandon, étages au-dessus de la ville, et précédés de tant de vestibules, de terrasses, de portiques sévères. Dans les cours dallées, des arbres qui ont vu passer les siècles étendent leurs grosses branches mourantes, soutenues çà et là par des béquilles de bois ou de granit ; il y pousse aussi des cycas géans, dont le tronc multiple s’arrange en forme de candélabre ; des cycas qui supportent le froid, admettent à l’occasion la neige sur leurs beaux plumets, — résistent aux hivers, dans ce pays, comme font du reste quantité d’autres plantes délicates, et comme les singes des forêts, comme les grands papillons pareils à ceux des Tropiques, le Japon, semble-t-il, ayant le privilège d’une flore et d’une faune qui ne sont plus de son climat. — Des galeries couvertes, aux colonnes de cèdre, entourent d’une zone d’ombre les sanctuaires presque toujours fermés, où l’on voit briller, à travers les barreaux des portes, des dorures atténuées, luire les mains et les visages des dieux assis en rang sur des fauteuils. Ces temples, comme leurs arbres, ont vu couler des années par centaines, et le moment approche où leurs boiseries, leurs laques s’en iront en débris et en cendre. Sur les autels, ou bien aux plafonds poudreux, aux frises des vieilles colonnades, derrière les toiles d’araignées, il y a partout du mystère ; partout il y a de l’étrange et de l’inquiétant, dans les moindres formes des figures ou des symboles. Et on sent bien, ici, qu’au fond de l’âme de ce peuple badin, au fin fond pour nous impénétrable, doit résider autre chose que de la frivolité et du rire, sans doute quelque conception plutôt terrible de la destinée humaine, de la vie et de l’anéantissement…

En montant toujours, voici bientôt la peuplade des petits bouddhas en granit, tout barbus de lichen, et les innombrables bornes funéraires, enlacées de plantes aux minuscules feuilles ; voici le réseau des sentiers qui se croisent parmi les tombes, sous les bambous et les camélias sauvages ; voici tout le