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« un pur roman. » Ayant entrepris d’offrir au public anglais les Souvenirs d’un Anglais à Paris pendant le règne de Louis-Philippe et le second Empire, et, apparemment, ne connaissant aucun Anglais qui eût à lui communiquer de tels souvenirs, le trop « ingénieux » M. Vandam s’est amusé à « démarquer, » avec plus ou moins d’adresse, toute sorte d’anecdotes empruntées, tantôt, aux journaux français du temps, et tantôt à nos chroniques et mémoires des XVIIe et XVIIIe siècles. Pour son major Fraser, d’ailleurs, je croirais volontiers qu’il se sera contenté du Dictionnaire Larousse, tant chacun des traits qu’il nous cite de son personnage, depuis sa richesse mystérieuse jusqu’à l’hypothèse d’une origine princière, ressemble à l’exposé le plus banal de la vieille légende du comte de Saint-Germain. En tout cas et bien qu’il ne « fasse jamais mention » de celui-ci, nous devinons tout de suite qu’il n’est pas sans en avoir « entendu parler. » Et il ne nous paraît pas possible, en vérité, que M. Lang, lui aussi, ne fait pas deviné. Lorsque les lignes qu’on vient de lire ont paru, il y a quelques mois, dans une Revue anglaise, ses lecteurs se sont fort émus de cette résurrection, sous le règne de Louis-Philippe, de l’ancien ami de Mme de Pompadour : et l’article de l’éminent auteur des Mystères historiques a eu autant de succès qu’en avait eu, naguère, l’Anglais à Paris du défunt Vandam. Mais je jurerais qu’au fond de son cœur M. Andrew Lang n’a pas été dupe, un seul instant de la mystification qu’il a ainsi transmise à ses compatriotes, car tout l’ensemble de son chapitre, jusqu’à ce passage sur le major Fraser, nous prouve assez qu’il tient le véritable Saint-Germain pour un imposteur de l’espèce la plus vulgaire, sans autre « immortalité » que celle qu’a bien voulu lui attribuer la complaisante fantaisie des badauds de son temps et du nôtre.


Est-ce à dire qu’il n’y ait pas de « mystères historiques ? » Il y en a un, assurément, un immense mystère à jamais impénétrable : et c’est l’histoire elle-même, toute l’histoire, d’un bout à l’autre ; ou plutôt c’est tout le passé et tout le présent de la vie humaine. Les faits les plus importans et les plus fameux, que devons-nous en penser, devant les mille récits contradictoires que nous apportent, à leur sujettes témoignages mêmes des contemporains ? Quelle idée pouvons-nous légitimement nous faire d’un César ou d’un Napoléon, tandis que nous ne trouvons pas deux de leurs biographes qui s’accordent sur leur caractère, sur les motifs et la nature des actions qu’ils leur prêtent ? Toute certitude historique s’ébranle, dès qu’on l’examine d’un peu près ; et vainement on s’efforce d’y suppléer par des hypothèses,