Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis 1832, date du premier recueil, jusqu’en 1863, date du dernier.

Ce serait assez préciser les choses, si un examen attentif ne nous permettait d’aller encore plus loin et de donner à nos conclusions une formule presque mathématique. Il nous suffira pour cela de négliger un instant le recueil de 1847, le moins intéressant d’ailleurs, nous l’avons dit, à notre point de vue psychologique et français. Dans le recueil de 1832, c’est Lamartine qui tient la première place dans l’esprit d’Alexandresco et La Fontaine la deuxième ; dans celui de 1838, c’est La Fontaine, au contraire, qui occupe la première place, Lamartine la deuxième et Boileau — qu’on y voit commencer de paraître la troisième ; dans le recueil de 1842, c’est encore La Fontaine — qui se maintient au premier rang, mais c’est Boileau qui vient tout de suite après, avec la nécessité impérieuse de ses préceptes, tandis que Lamartine tombe au dernier plan ; enfin, dans le dernier recueil, Boileau règne sans conteste sur l’esprit de notre poète, qu’il rend néanmoins, en vertu de sa salutaire doctrine, complètement libre, et La Fontaine tombe au deuxième plan, tandis que Lamartine et son ancienne influence disparaissent presque complètement de l’esprit d’Alexandresco.

Si maintenant le lecteur français nous demandait les raisons que nous avons eues de l’entretenir un peu longuement d’un poète dont le nom même lui était peut-être inconnu, nous lui dirions que la littérature roumaine doit à Grégoire Alexandresco trois choses, l’analyse de l’âme roumaine, d’abord, et la psychologie de l’époque où il a vécu. Alexandresco, avec son individualité trop prononcée au début, nous voulons dire avec son culte du moi, et avec sa grande admiration pour tout ce qui est français, aurait pu, ou bien descendre continuellement dans ses états d’esprit, — n’être que poète personnel et lyrique, — ou bien dépeindre, comme tant d’autres l’ont fait, la société de ses maîtres. Il a voulu rester roumain. Que dis-je ? Il s’est efforcé de s’assimiler l’âme roumaine, comme il s’est efforcé de s’assimiler l’âme française.

En second lieu, il a introduit un peu d’équilibre, un peu de santé, et de modestie dans la pensée roumaine. Placé entre deux générations, dont l’une, celle des anciens, voyait les choses tout en noir, et l’autre, celle des jeunes, voyait les choses tout en rose, il ne s’est laissé entraîner par aucun de ces courans