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Alexandresco, qui les imite tour à tour, a essayé de réaliser, à lui tout seul, en son pays, l’œuvre de ces trois grands maîtres Il se rend bien compte de cette complexité de nature, qu’il considère comme une infériorité, et il s’efforce d’établir une unité dans son évolution littéraire, mais cette unité ne consiste presque jamais que dans la prépondérance successive de chacun de ses trois maîtres sur les deux autres. On se demande, à chaque instant, avec curiosité et inquiétude : « Que vont devenir Lamartine, Boileau et La Fontaine dans l’esprit d’Alexandresco ? » Ou encore, lequel des trois enfin l’emportera chez Alexandresco ? « Sera-t-il Dieu, marbre ou cuvette ? » et le fabuliste triomphera-t-il de l’élégiaque ? ou le satirique du fabuliste ?

Enfin, il faut bien nous demander : « Quelle différence y a-t-il entre l’Alexandresco de 1842 et celui de 1832 ? » Alexandresco, âme, pour commencer, sentimentale, hésitante, timide, égoïste, mais douée d’un certain vouloir et attirée vers la lecture des œuvres françaises, est devenu, en l’espace de dix ans, une âme sûre d’elle, positive, ordonnée, claire, capable d’observer ce qui se passe autour d’elle, aussi bien que ce qui se passe en elle-même, patiente, très sévère, surtout en ce qui la concerne, et de plus en plus amoureuse de la forme… Cette âme littéraire sait exactement ce qu’elle veut dire, chose rare en Roumanie, surtout à ce moment-là ; elle se rend parfaitement compte de l’ordre qu’elle doit adopter pour ses idées ; enfin, elle sent la nécessité qu’il y a pour la pensée de trouver une expression qui en rende toutes les nuances. Le lecteur français se sent de plus en plus à son aise devant les productions poétiques de Grégoire Alexandresco, les comprend de mieux en mieux et les goûte toujours davantage, à mesure qu’il s’éloigne du recueil de 1832, qu’il feuillette celui de 1838, et surtout celui de 1842. L’âme d’Alexandresco est en effet devenue de plus en plus une âme française. Ou, pour être plus exact, on y reconnaît une sensibilité roumaine s’associant à un esprit français : c’est l’originalité et c’est la définition même de notre poète.

Mais à qui doit-il particulièrement tous ses progrès ? Il suffit de les indiquer pour reconnaître son maître préféré, celui qui a, en définitive, toujours régné au fond de son âme. Précision, plan, ordre, sincérité, observation de la nature humaine, souci de la forme, ce maître, c’est Boileau ! C’est lui qui, de l’ombre de son tombeau, défend encore lu classicisme chancelant, ou