Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fables du premier recueil, en vers de sept syllabes ; d’autres, parmi lesquelles ses deux fables plus lyriques, concernant le rossignol : Le Rossignol et l’Ane, Le Rossignol dans sa cage, emploieront le vers plus traînant et plus plaintif de neuf syllabes ; tandis que dans les deux grandes fables devenues populaires : La Souris et le Chat et Le Bœuf et le Veau, il se servira des grands vers narratifs de onze et douze syllabes. Cela indique déjà une certaine richesse parmi les procédés techniques de l’auteur, une certaine finesse de goût aussi ; et c’est un acheminement vers la versification libre qui fera son apparition dans les fables du troisième recueil.

Pour ce qui est de la philosophie même de La Fontaine, peut-être n’aurait-elle pas été absolument sans charme pour le jeune poète valaque, dont la vie et le tempérament ressemblent en plus d’un point à ceux de son maître. Mais il dut se dire, sans doute, que pour une telle philosophie il faut, sans parler d’un certain tempérament poétique, un certain milieu social. Or, c’était alors vers l’action que se tournaient tous ceux qui l’entouraient, et non vers l’indolence, à ce moment décisif de l’histoire de la civilisation roumaine. On sentait de toutes parts l’approche d’une ère nouvelle, qui devait transformer toute l’humanité : la Roumanie seule resterait-elle en arrière ? Ne ferait-on rien pour amener chez soi aussi « cette nouvelle ère » tant désirée ? La fable, qui est faite pour satiriser et pour corriger, se tairait-elle ? N’était-ce pas justement pour elle le moment d’ouvrir la voie et de se faire, à sa manière, l’écho des aspirations nationales ? Nous sommes loin des fables de La Fontaine, ou plutôt nous sommes, à vrai dire, à l’extrémité tout opposée. L’auteur ne rime plus pour le plaisir de débiter des contes, comme en 1832. Sa fable a un but, si elle n’a pas une philosophie. Au lieu de dire comme celle de La Fontaine : « Humains, croisez-vous les bras, car il n’y a rien à faire sur cette terre ; » elle dit à un cercle plus restreint de mortels : « Roumains, levez-vous, et agissez ! » Cette fable d’Alexandresco ne sera donc ni universelle, ni philosophique, mais au contraire, — et elle va l’être de plus en plus, — nationale et politique.

Un renard qui réussit, par des flatteries et des promesses, à transporter les petits du corbeau dans son gîte ; — un rossignol qui pense à s’enfuir de sa cage avant que les ailes ne lui aient poussé ; — un chat qui sait attirer dans un guet-apens une petite