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Chantre du printemps qui as le don de plaire

Et d’être noble dans tes expressions, sans être obscur, et d’être simple, sans devenir trivial…

Toi qui sais, par ton talent, donner de l’importance aux petites choses,
Et ne dis jamais mot qui soit inutile…
Éclaircis-moi donc quelques-uns de mes doutes
À moi qui ai si souvent profité de tes bons conseils…


Quels sont ces doutes du poète en 1838 ? Il se rend bien compte de quelques-uns de ses défauts poétiques : il ne peut pas « suivre la ligne droite, » ni « marcher d’un pas égal ; » il lui manque le don du détail ou du pittoresque ; il n’est pas assez soigneux, et n’a pas la patience nécessaire pour bien faire. Il se juge, l’Art poétique en main. Mais justement, lorsqu’on se sent partagé entre plusieurs tendances contraires, quel parti faut-il prendre ? Doit-on voir dans cette variété d’aptitudes une invitation à suivre plusieurs routes à la fois, ou faut-il y voir, au contraire, comme un avertissement de la nature qu’on ferait mieux de ne rien entreprendre ?


Je compare volontiers mon cas à celui d’un voyageur
Qui, ignorant son chemin, sans guide,
S’arrête au milieu d’un champ, très contrarié :
Il voit s’ouvrir une foule de routes, à droite, à gauche…
Il fait quelques pas en avant, il rebrousse chemin…
Il perd un temps précieux et son cœur est tourmenté par le doute…


En réalité, le poète se sent attiré à la fois par l’élégie et par la fable. Son cœur le rappelle au dedans de soi, tandis que ses sens l’attirent au dehors ; et, tandis qu’il aimerait à pleurer sur lui-même, le monde extérieur lui sourit et le tente. C’est pourquoi impersonnalité veut dire pour lui gaîté, et personnalité, tristesse. S’il pouvait être triste pendant un certain temps et gai tout de suite après ! Mais les deux dispositions, au lieu d’alterner, se contrarient l’une l’autre ; et il voit venir le moment où il devra absolument opter entre ces deux genres opposés,


Dans les momens mêmes où je prends le ton de l’élégie…
Voici l’image d’un animal qui se dresse devant moi
Et semble vouloir résoudre, à ma place, le problème qui me hante :


Il serait donc, en définitive, plus porté vers la fable. Mais doit-il quitter l’élégie ? Et quels conseils plus précis va-t-il suivre à l’égard de la fable ? Cette fois-ci encore, l’Art poétique le laisse