Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ciel, auquel il compare le séjour d’ici-bas, qui lui paraît alors bien médiocre… L’amour seul peut y attirer son attention, l’amour pur, une des voies qui conduisent à la divinité, sinon une des formes de la divinité… — En second lieu, cette philosophie de Lamartine nous explique ce que l’on est convenu d’appeler le vague de son âme, ou plutôt le plaisir qu’il éprouve à se tenir dans les généralités : « Un rocher, » « un lac, » « une église, » sans aucune autre désignation spéciale. Comment s’y serait-il pris pour les préciser ? Ils ne sont pas de son monde, ils lui sont en somme indifférens. Pareillement, enfin, cette philosophie nous rend compte aussi de la noblesse de l’âme lamartinienne, de ce sentiment de large et généreuse humanité qui se dégage de toute son œuvre. De même qu’il ne s’attarde pas dans la description de la nature extérieure, de même il ne se complaît pas dans les descriptions trop minutieuses de ses états d’esprit : il nous en dit ce qu’il y trouve de plus humain, les problèmes qui le tourmentent sont ceux qui tourmentent l’humanité depuis qu’elle existe. Le « sujet » et l’ « objet » flottent, pour ainsi dire, chez lui dans la même généralité… On lui reproche souvent de parler d’un « vallon » plutôt que de tel vallon, d’un « lac » abstrait au lieu de certain lac, d’un « clocher rustique » quelconque, au lieu d’un clocher rustique déterminé… Mais il faut remarquer aussi qu’on entend dans ses vers le cri d’une âme « humaine » quelconque ou le cri de l’ « âme humaine » en général, plutôt que le cri de son âme à lui, Lamartine…

Nous sera-t-il permis, après l’exposé de cette sublime philosophie, de revenir à Alexandresco ? Il nous semble que c’en est justement le temps et qu’on pourra le comprendre plus facilement. C’est une âme humaine que celle du poète valaque aussi, une âme humaine qui souffre et qui cherche… Elle prend même Lamartine pour guide. A-t-elle seulement bien compris son guide ? Ceci est une autre question. La doctrine de Lamartine se compose de deux parties : l’une envisage la petitesse et l’autre, la grandeur de l’homme… Tous ceux qui n’envisageront que l’une de ces parties et oublieront soit les souffrances actuelles de l’humanité, soit son bonheur futur ne se réclameront pas de Lamartine. Tous ceux qui n’introduiront dans leurs vers qu’une certaine cadence molle, harmonieuse et plaintive, qu’on est convenu d’appeler « lamartinienne, » ne se réclameront pas de Lamartine, car il y a quelque chose de plus, chez ce poète.