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à briser brusquement sa pensée au moment où l’on s’y attend le moins, pour la jeter tout de suite dans une direction tout opposée :

J’étais frais comme l’aurore dans ce temps-là, léger comme le zéphire !
Je jouais doucement à votre ombre avec les petits agneaux,
Mais vous… le printemps et la source voisine vous renouvellent sans cesse.
Ma vie passe… mes jours s’envolent. (Le Retour.)


Mon oreille écoute le torrent qui gronde,
La vague qui se brise contre le rivage, en pleurant
Et mon âme leur demande s’ils souffrent comme nous,
Si, comme nous, ils ont une pensée, un langage, un esprit. (L’Amitié.)


On sent certainement l’influence de Lamartine, et une influence marquée, dans la première manière d’Alexandresco. Mais, il est bon de nous le demander dès maintenant : Est-ce là tout Lamartine ? et n’y a-t-il autre chose que du Lamartine ? Ne reste-t-il plus rien à acquérir à notre poète, — sans rien dire du talent, — pour devenir semblable à son maître ? ou, plutôt, n’entrevoit-on déjà dans son esprit des élémens étrangers qui demanderont à se développer comme tout le reste, au détriment peut-être de tout le reste, et qui rendront la différence toujours plus grande entre l’auteur des Essais de 1832 et celui des Méditations ? C’est ce que nous tâcherons de déterminer dans les pages qui suivent.

Il y a autre chose, ce me semble, chez Lamartine que le pur déclamateur de profession, que le rêveur ou le musicien favori des poètes symbolistes, que le chantre plaintif des lacs, des rochers et de la belle Elvire. Il y a en lui un penseur, un philosophe, dont la personnalité et le système se sont développés d’une façon très normale et très conséquente, depuis les Premières Méditations jusqu’aux Harmonies.

L’existence a deux faces qu’il faut considérer tour à tour : le réel, que l’on perçoit par les sens ; l’idéal, que l’on conçoit par la pensée. L’homme est placé entre deux infinis : d’un côté, il voit son néant ; de l’autre, il voit sa grandeur. Qu’il ne s’en enorgueillisse ni ne s’en humilie, ou plutôt qu’il s’enorgueillisse et s’humilie tout à la fois et gloire à Dieu, en dépit de tout ! Et, en effet, jamais créature ne témoigna de plus de soumission envers son créateur, ni jamais optimisme ne fut plus absolu que celui de Lamartine. Certes, le poète a connu le doute et la