Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de la langue françaises était même si répandu dans les deux principautés roumaines, qu’un auteur comique, Facca, flagella cet abus dans une pièce en deux actes, intitulée : les Francisées. Cette parodie de la société roumaine, imitée des Précieuses ridicules, devait voir le jour la même année que le recueil d’Alexandresco.

Il nous serait plus difficile de dire pourquoi le poète, en quittant le modèle favori de son enfance, Florian, faisait ses délices, à l’âge de vingt ans, du grand élégiaque Lamartine. Y avait-il quelque affinité entre son âme, à cette époque, et celle de l’auteur de l’Isolement ? Lisait-on beaucoup Lamartine dans la classe du professeur Vaillant ? Ou bien l’auteur se trouvait-il sous l’influence de son compatriote Héliade-Radules, qui avait donné, deux ans auparavant, une traduction roumaine des principales Méditations poétiques ?

Toujours est-il que ce premier recueil est inspiré, en première ligne, par Lamartine, et que ce poète restera pendant longtemps un des grands maîtres d’Alexandresco. On est frappé de découvrira chaque instant chez lui cet amour de la solitude, de la rêverie qui caractérise l’auteur des Méditations :

Mes yeux se promènent sur les collines et sur la campagne,
Mon âme s’élève sur des ailes enflammées,…
Étrangère à tout, elle s’enfuit rapidement du séjour terrestre… (Minuit.)

Au milieu de la nature, le poète aime surtout à faire entendre ses lamentations. Tout comme son maître, il ne songe qu’aux misères de l’existence et appelle éloquemment la mort :


Être sans nom,
Qui donnes le vol à l’oiseau
Descends sur un nuage,…
Calme dans mon cœur
Mes souffrances indescriptibles
Ou bien donne-moi le droit de mourir. (Le Chagrin.)


Cette invocation de la divinité en pleine nature, au milieu et à propos de ses souffrances, rappelle encore Lamartine. Enfin, on retrouve, dans le peu d’élégies publiées en 1832, quelques-uns des procédés poétiques employés par ce grand poète : ce rapprochement entre l’âme heureuse de la nature et l’âme attristée de l’homme, cette horreur de l’individuel pour ne pas dire cet amour du vague, ces suspensions ou ces réticences qui consistent