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poésie roumaine. Il devait lutter avec la langue, avec le vers, avec la pensée. Car on ne pouvait appeler de la littérature les essais indéchiffrables de quelques mauvais versificateurs de Bucarest et de Jassy, parmi lesquels les figures les plus respectables sont encore celles des deux grands dignitaires : le logothète moldave Constantin Conaki (1777-1849), le logothète valaque Jean Vacaresco (1786-1863). Puis, Alexandresco était très jeune : il avait à peine vingt ans. Enfin, il s’était formé tout seul : né de parens pauvres, il n’avait pas pu se permettre le luxe d’un gouverneur français, à la façon des grands boyars du pays ; il habitait sous un escalier, dans la cour de l’Eglise Métropolitaine, chez son oncle, le pope Jérémie. Pendant une bonne moitié de son existence, il mènera à peu près le même genre de vie qu’avait menée son futur maître La Fontaine ; des amis aisés, de grands boyars, des princes régnans même se le disputeront : il fera leurs délices et ils ne pourront pas se passer de lui, — mais, à vrai dire, ni lui d’eux non plus. Ce fut par charité que le professeur Vaillant lui permit de suivre, pendant quelques mois, son cours de français, un ou deux ans avant l’apparition du premier recueil.

Ce sont là bien des circonstances atténuantes. D’autre part, pour n’être pas les meilleurs qui existent, les vers de 1832 ne sont pas non plus complètement détestables. On y découvre déjà des qualités, si l’on veut bien les examiner un peu à la loupe et les juger, non pas avec l’esprit français de 1904, mais bien avec l’esprit roumain de 1832. Leurs défauts appartiennent à l’époque où ils furent écrits, mais leur mérite n’est bien que de leur auteur seul.

D’abord, ils ont un sens. Il n’est pas si facile que cela d’en donner un à ses écrits. L’esprit est porté naturellement vers la confusion,… surtout dans les premiers temps d’une littérature. En second lieu, ces premières poésies de Grégoire Alexandresco sont réellement et profondément senties : on y découvre de la sincérité, ce qui n’est guère moins difficile à posséder que la clarté de langage. La plume d’un débutant est traîtresse : elle va à droite, elle va à gauche, au lieu de suivre le véritable chemin que lui indique notre esprit. Il n’y a rien de si peu naturel que d’être naturel dans ses premiers écrits.

Enfin, quelque mauvais qu’ils fussent, les vers du recueil de 1832 dénotent beaucoup d’application de la part de leur auteur.