Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On en vint alors aux affaires d’Asie : mais bien qu’elles fussent nombreuses, elles n’inquiétaient personne. D’abord elles avaient la chance heureuse de se présenter les dernières et quand tout le monde désirait en finir. L’Angleterre, l’Autriche, avaient atteint leurs principaux objectifs : des avantages multiples étaient attribués aux Principautés balkaniques ; le concert européen se dressait comme un beau décor ; on ne doutait pas de l’issue pacifique du Congrès, et certes la Russie aussi bien que la Porte eussent été fort malvenues de susciter des objections de dernière heure. Un paisible compromis était le complément obligatoire d’un travail presque achevé, et cette solution s’imposait tellement que les représentans russes et anglais, chargés de la préparer dans leurs conférences isolées, y parvinrent, je crois, sans trop de peine. Quoi qu’il en soit, le prince Gortchakof, en ministre jaloux de la dignité de son maître, tint à honneur de prendre, en séance plénière, l’initiative des sacrifices qu’il avait dû consentir. Concertée ou spontanée, la scène fut extrêmement majestueuse : le Congrès, surpris peut-être, à coup sûr charmé, écouta en silence le vieux chancelier russe déclarer que le Tsar, en vue de terminer par un acte désintéressé la grande lutte pour la paix, consentait à abandonner une partie de ses conquêtes asiatiques, Erzeroum, Bayazid et la vallée d’Alachgerd, transformait Batoum en port franc, et ne prétendait garder qu’Ardahan et Kars. La Porte recouvrait ainsi de vastes territoires ; l’Angleterre aurait eu mauvaise grâce à insister : l’assemblée manifesta sa joie, et persuadée ou non qu’elle devait uniquement cette conclusion à la magnanimité du Tsar, elle en félicita le prince Gortchakof et la sanctionna sur-le-champ.


VII

Son labeur matériel était en effet achevé. Mais il lui restait à subir une rude épreuve morale. Comme si la logique et la vérité devaient avoir le dernier mot, ce cénacle allait être mis au pied du mur, et révéler combien son appareil souverain cachait de timidité et de doute. J’avais remarqué, pendant le cours de nos séances, qu’une question de premier ordre demeurait à la fois présente et voilée. On y pensait toujours, car elle était virtuellement au fond de tout, mais on n’en parlait jamais. En un mot : quelle serait la garantie des stipulations