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« Peut être, après tout, écrit M. Henry Houssaye, à la fin de son bien intéressant feuilleton, Napoléon était-il sincère quand il disait à Sainte-Hélène : « J’ai livré soixante batailles ; je n’ai rien appris que je ne susse dès la première. C’est comme César qui se bat la première fois comme la dernière ; c’est comme Annibal qui, à vingt-six ans, conçoit ce qui était à peine concevable et exécute ce qu’on devait tenir pour impossible : c’est comme Condé chez qui la science semble avoir été un instinct, la nature l’ayant produit tout savant. »

Cette boutade de Napoléon, ne doit pas faire oublier que César, Annibal, Condé ont été, comme Alexandre, Gustave-Adolphe, Frédéric II, élevés, instruits de bonne heure pour la guerre, et que cette préparation bien dirigée, et jointe à leurs qualités naturelles, suffit pour expliquer leurs premiers succès. Mais Napoléon lui-même, que savait-il à sa première bataille ? Où et comment s’était faite sa préparation de chef d’armée ? Voici, à mon avis, la version la plus admissible :

Pendant les premières années de sa vie de lieutenant, les choses de la guerre ne paraissent pas intéresser Napoléon, plus que les autres. Il s’occupe un peu de tout, superficiellement, sans méthode ; il semble chercher sa voie ; son esprit paraît surtout tendu vers les luîtes politiques de la Corse.

A la fin de 1791, il est en congé en Corse, et y brigue une place d’officier dans les bataillons de la garde nationale en création dans l’île. Il réussit, en avril 1792, à se faire nommer à l’élection lieutenant-colonel en second d’un bataillon de volontaires. Il change donc non seulement de grade, mais d’arme. Dans des conditions semblables, tout lieutenant d’artillerie se serait mis immédiatement à la besogne, pour être à même d’agir dans ses nouvelles fonctions.

D’un autre côté, à la fin de 1792, Napoléon s’occupe des préparatifs de l’expédition de Sardaigne, et il prend part à cette expédition, au commencement de 93. Entre temps, il séjourne plusieurs mois à Paris, assiste aux événemens de l’époque, et n’est pas sans entendre parler des vides qui se sont produits dans les hauts grades de l’armée, et des avancemens extraordinaires qui en résultent. Tout le pousse, dans cette année 1792, à prendre au sérieux sa carrière militaire ; à donner à ses lectures, à ses études, à ses méditations, une tournure de plus en plus pratique ; et à se préparer à se distinguer, à son tour, dans