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Combien le suivraient du cœur ? Combien, les adieux faits, tourneraient les talons, pour ne plus songer qu’à soi ?… Était-ce la terne clarté du jour, sous le ciel bas ? Du Breuil remarqua presque chez tous une expression lasse, lourde. Hauts dignitaires, sénateurs, députés, lui parurent éteints, sous le même masque fatigué, repu. Seul, le comte Duclos conservait sa morgue. L’amiral Le Véronnech était plus affaissé que jamais. Tout ce monde, aux lumières, lui avait semblé plus jeune, plus vivant. Il douta si l’Empire vieillissait…


L’Empereur, lui, avait sûrement vieilli. Face plus éteinte entre ces faces éteintes ; regard plus las parmi ces regards las ; masque plus épaissi que tous ces masques seulement repus, enflé sous les yeux, « abaissé aux coins de la bouche. » Par instans, « une souffrance, due à la cruelle maladie dont les plus intimes évitaient de s’entretenir, tiraille le visage auguste. » — « Pas brillant, ce soir !… » murmure le général Jaillant à l’oreille du général Chenot. L’Impératrice « demeurait la souveraine, un être hors race, où la femme disparaissait dans la splendeur du rang. Grande, elle était dans tout l’éclat de sa maturité. Le charme de sa beauté blonde avait quelque chose de despotique. Ses yeux d’une splendeur glaciale brillaient d’orgueil et de volonté. La fièvre de ses pensées donnait à son teint, plus animé que de coutume, une expression ardente et tendue. » Le Prince Impérial était un enfant : « Dégagé dans un frac de drap noir, — col blanc rabattu, les yeux clairs, les cheveux blonds, il avait l’air d’un jeune Anglais. » À cette triple esquisse, on devine où est l’âme, la force, la volonté. On comprend qu’en cette fin de rogne, s’il est permis de le dire, les rôles sont intervertis, que l’homme, c’est la femme, que le prince, c’est la princesse, que le sens de l’Etat s’est réfugié tout entier en elle, et que l’Empire, comme la dynastie, ne tient plus que par elle. Elle seule est vaillante au soir des adieux : bien que la mère souffre dans ses nerfs et dans son cœur, « l’Impératrice n’avait jamais eu plus grand air. » Elle seule est impériale : « Fais ton devoir, Louis ! » dit-elle à son fils, quand le train s’ébranle. L’Empereur, ses cheveux gris pendant en longues mèches hors de son képi, la paupière pesante trahissant, lorsqu’elle se descelle, « la clairvoyance d’une âme désabusée, » dans « la paralysie du bon vouloir inutile » et comme dans « le demi-sommeil » accablé et résigné qu’il ne peut vaincre, Napoléon III n’est plus qu’une chose qui va. Le convoi qui « emporte vers l’inconnu le destin du pays, la fortune de la