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D’ailleurs la mortalité diminue, mais pas assez pour compenser la réduction de la natalité.

Parmi les causes de celle-ci figurent, au premier rang, les goûts de luxe, de sans-gêne et d’ambition démesurée. Je lis dans une monographie qui vient de la Haute-Marne : « On redoute le souci de l’éducation de plusieurs enfans ; on se bâtit des châteaux en Espagne, et on voudrait créer à ses enfans une situation qu’on n’a pu qu’entrevoir. » A Sainte-Bazeille (Lot-et-Garonne), « chaque père, chaque mère de famille ne rêvent plus pour leurs enfans que la fortune qui peut donner le bien-être, et, pour arriver à ce résultat, on n’a plus qu’un enfant. Cet enfant se mariera avec une fille unique, le fruit des mêmes calculs, et ces deux êtres réuniront en leurs mains les économies faites par deux familles pendant trente et quarante ans ; ils auront un enfant, qu’ils marieront à leur tour dans les mêmes conditions. Ce qui était 25 000 francs chez le grand-père, sera 100 000 francs chez le petit-fils, et, au bout de soixante ans, six personnes ne laisseront qu’un seul représentant, mais qui sera riche. » A moins toutefois qu’un coup de foudre du destin ne rejette dans le néant ces savantes combinaisons.

N’oublions pas une cause toute locale de réduction de la natalité dans la région pyrénéenne : beaucoup de jeunes gens vont chercher fortune en Amérique, et cette migration condamne au célibat un certain nombre de jeunes filles.

L’exode rural vers les villes a commencé vers 1850, et les chemins de fer ont beaucoup contribué à créer l’état d’âme d’où sortit ce mouvement si fâcheux ; ils le facilitent, ils rapprochent du village la ville, la capitale qui apparaît au jeune rural comme un paradis matériel où il gagnera de gros gages avec peu de travail, où il assistera gratis à des fêtes splendides, où il ira au spectacle, et où l’on trouve le véritable bâton de maréchal de France, la fortune. Et puis, les chemins de fer enlèvent directement des milliers de bras à l’agriculture, en admettant beaucoup de jeunes gens dans leur personnel.

Le service militaire universel agit plus gravement dans ce sens. Causez avec les députés et les sénateurs de tous les partis : ils vous diront que les soldats qui ont tiré leurs trois ans, constituent un appoint fort encombrant de leur clientèle solliciteuse ; ils ont habité la ville, entrevue dans un mirage, ils veulent y revenir ; les sous-officiers surtout se montrent réfractaires au