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elle descend de 75, 6 pour 100 à 60, 9 pour 100 : au lieu des trois quarts de la population totale, elle ne représente plus que les trois cinquièmes. Jadis beaucoup de campagnards raisonnaient comme ce vigneron du Cher qui dit un jour à M. Duvergier de Hauranne : « Autrefois on avait huit ou dix enfans ; lorsqu’il naissait un enfant, on allait défricher un morceau de bruyère, et c’était son avenir. »

Les monographies locales confirment douloureusement les doléances des statisticiens et des moralistes pratiques[1]. À Blangy-Trouville (Somme), de 1883 à 1893, en dix ans, on relève 65 naissances et 90, décès. « Depuis quarante ans, observe l’instituteur de Fayl-Billot, les décès l’emportent sur les naissances, et la différence deviendra de plus en plus grande en raison de la réduction de la natalité. » À Mandres (Meuse), on en est venu au point de tourner en ridicule les pères et mères d’une nombreuse famille : les mauvais plaisans ont-ils entendu parler de cette théorie de Stuart Mill d’après laquelle celui qui met au monde plus d’enfans qu’il n’en peut élever doit être assimilé à l’ivrogne et au débauché ? « Tout nouveau-né, affirme un habitant de l’Indre, augmente les convives au repas de famille, accroît les charges des parens, et diminue l’aisance des frères. » À Freneuse (Seine-et-Oise), sur 42 familles de cultivateurs, dix-neuf n’ont qu’un seul enfant, et six n’en ont point du tout. À Arles, du 1er janvier 1811 au 31 décembre 1898, les décès dépassent les naissances de 1 732, soit une moyenne de vingt par an. Le comte de Saint-Quentin, excellent agronome, constate que dans le département du Calvados, de 1800 à 1890 le chiffre de la population a passé de 450 000 à 408 500. Bien rares apparaissent les villages, comme Novalaise (Savoie), où, sur 263 ménages de gens mariés, on en compte 107, au dernier recensement, qui avaient au moins cinq enfans vivans et présens ; avec les absens, la moyenne eût singulièrement augmenté. La Normandie, l’Anjou, les Pyrénées, le Bas-Languedoc, les plaines de la Garonne, les Charentes, une grande partie de la Champagne et de la Bourgogne, sont les plus stériles de nos provinces : dans la Bretagne, la Flandre et l’Artois, les Landes, le Roussillon, la région des Cévennes et une partie de la région alpestre, les naissances demeurent assez nombreuses encore, moins qu’autrefois.

  1. Levasseur, La population française, t. II et III. — Leroy-Beaulieu, Traité théorique et pratique d’économie politique, t. IV, p. 572 et suivantes.