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possèdent 4 621 450 hectares ; les biens communaux dans les Hautes-Alpes couvrent plus de la moitié du département : et, dans les grandes propriétés privées, que de landes incultes, de montagnes sans végétation ! On sait que la Crau et la Camargue constituent une partie de l’immense territoire de la commune d’Arles ; il y a là des propriétés de 4 000 hectares, mais les meilleurs terrains appartiennent aux petits propriétaires ; c’est là d’ailleurs un fait général. Et l’on ne saurait trop répéter que l’importance économique des petites cotes foncières se décuple, se multiplie à l’infini par ses bienfaits moraux : elles sont en quelque sorte la grande usine sociale qui produit les vertus de bon sens, d’équilibre moral, de courage et de légitime ambition, grâce auxquelles nous résistons à l’utopie, et suppléons à l’absence d’esprit politique ; ces vertus font penser au mot de Montaigne : « Les mœurs et les propos des paysans, je les trouve communément plus ordonnés selon les prescriptions de la vraie philosophie, que ne sont ceux des philosophes. »


II. — AVANTAGES RESPECTIFS DE LA GRANDE ET DE LA PETITE CULTURE

Le problème de la grande et de la petite propriété, celui de la grande et de la petite culture, constituent deux problèmes bien distincts : on voit de grandes propriétés se diviser en plusieurs exploitations, et, à l’inverse, les terres de plusieurs propriétaires confondues entre les mains d’un seul cultivateur. Il est d’usage d’appeler grande culture celle qui dépasse quarante hectares ; moyenne culture, celle qui comprend moins de quarante hectares et plus de dix ; petite culture, celle dont l’étendue reste inférieure à dix hectares ; une nouvelle subdivision s’applique à la culture qui ne dépasse pas un hectare. Si la superficie des cultures s’agrandit en même temps que s’amoindrit leur nombre, en revanche, les deux tiers de la superficie non cultivée de France appartiennent à la grande propriété. Laquelle vaut mieux ? Les agronomes ne sont pas d’accord ; chaque mode a ses partisans et ses adversaires. En 1755, le marquis de Mirabeau, dans l’Ami des hommes, préconise avec force les petits domaines, et Stuart Mill a renouvelé la thèse en se l’appropriant : au contraire, Arthur Young proclame la supériorité des vastes exploitations, qui, selon lui, ont fait la force de l’Angleterre. Que dirait-il aujourd’hui ?