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apportera dans la stratégie et dans la tactique. Quoi ! Encore des guerres ? Oh ! seulement, pour établir le nouvel et définitif état de choses. Après, ce sera l’âge d’or. Non seulement ceux qui gouverneront la Nouvelle République seront invulnérables à la corruption, incapables de fraude, étrangers à toute pensée d’avancement familial ou de profit personnel ; mais ils ne connaîtront point les erreurs et les faiblesses communes à l’humanité.

Ainsi nous devons au même auteur deux peintures très différentes du sort qui attend le monde et notre race dans un ou deux siècles. Ces peintures ont entre elles quelques traits communs. J’en ai fait ressortir deux ou trois ; j’aurais pu en signaler d’autres encore. Mais, sur les points les plus importans, elles s’opposent violemment et se donnent le plus éclatant démenti. Dans l’une, les mauvais instincts et les défauts acquis de la société présente se sont développés sans contrepoids ; dans l’autre, le bien seul a prévalu sans qu’on voie d’où viendra cette régénération merveilleuse. Dans When the sleeper wakes, the Dream of Armageddon et A tale of the days to come, la société future est un enfer ; dans Anticipations et dans Mankind in the Making, elle est un paradis terrestre. Et, ce qui met le comble à la contradiction, la même cause a, dans les deux cas, produit cette effroyable misère et ce bonheur sans mélange : le progrès scientifique. Seulement, ici les passions humaines s’en sont emparées, et, là, c’est la raison seule qui a conservé la maîtrise. Faut-il choisir entre les deux thèses ? Elles ne sont vraies, je le crains, ni l’une ni l’autre. C’est dans les romans de M. Wells qu’il y a, peut-être, le plus d’observation et de sérieuse psychologie, c’est dans ses dissertations sociales qu’il y a le plus de chimère et de roman.

De ses fictions se dégageait une idée qui semblera fausse à beaucoup de gens et profonde à quelques autres : c’est que le progrès moral de l’humanité est en raison inverse de son progrès matériel. Ses essais sociologiques ne laissent dans l’esprit que les lignes vagues d’une utopie, fondée sur la perfectibilité indéfinie de l’espèce, la vision d’un monde refait d’après certains principes exclusifs, un paradis, écrivais-je tout à l’heure, mais un paradis où l’on aurait horreur de vivre presque autant que dans son enfer !

Comme le dit très justement M. Wells, c’est sur l’avenir des sociétés et des civilisations en général qu’il est possible d’offrir