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qui monopolisent les différens services publics. La plus importante de toutes est la Labour Company. Primitivement, ce fut une association charitable qui se chargeait de procurer du travail aux ouvriers. Peu à peu elle a enrégimenté tous les prolétaires, elle les a réduits en esclavage et, moyennant l’abandon de leur liberté, leur assure le pain quotidien avec ce hideux vêtement de toile bleue qui est le signe et la livrée de la servitude. Elle leur assure aussi l’éducation ou, mieux, l’élevage de leurs enfans dans des crèches publiques. Ainsi déchargés de tout souci matériel, ces malheureux vivent dans les étages inférieurs, dans ce qu’on pourrait appeler la ville souterraine, donnant leur journée au travail, leur soirée à des joies grossières, leur nuit au sommeil de la brute.

Maintenant on peut embrasser d’un coup d’œil toute cette société, de son sommet à ses profondeurs. Plus que jamais, c’est l’argent qui est le maître. Ni la force de l’idée ni la force du nombre ne lui font contrepoids. L’argent a confisqué à son profit le mouvement collectiviste et a réalisé une partie du programme : la plus malfaisante, la plus oppressive. En haut, vanité, frivolité et corruption ; en bas, violence, misère, sauvagerie. Les nations ont disparu, les classes demeurent, plus séparées que jamais. La guerre étrangère est devenue impossible, mais quand la guerre civile éclate (A Dream of Armageddon), elle embrasse toute la terre et il n’est pas un coin de la planète qui soit à l’abri du carnage. La religion ne rapproche plus les riches et les pauvres ; leurs intérêts, leur mode d’existence, tout les écarte. Bientôt on prévoit qu’ils ne parleront plus la même langue. Deux humanités s’élaborent, l’une qui tend à s’élever dans les airs, l’autre à s’enfoncer dans l’intérieur de la terre, comme si le dualisme de l’animal amphibie d’où l’homme primitif est sorti devait persister jusqu’à la fin des temps et s’affirmer chaque jour davantage !

Ce divorce entre l’humanité aérienne et l’humanité souterraine n’est, au XXIIe siècle, qu’un pressentiment. M. Wells le suppose complètement effectué vers l’an 400 000 du monde, car il se lance, sur sa machine à explorer le temps, dans ces lointaines profondeurs de l’avenir. Que voyons-nous lorsque l’explorateur, descendu de sa machine, se mêle à la vie de ce temps-là ? Ce grand train express dont une image vulgaire fait le symbole de notre civilisation moderne et qui l’emporte, avec une vertigi-