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où nous renouons connaissance avec eux, les Parisiens célèbrent le réveil du dormeur en s’offrant le divertissement traditionnel d’une révolution. Les antiques diversités qui séparaient les peuples se sont effacées avec les distances. Grâce aux aéroplanes on va plus facilement et plus vite de Londres à Paris qu’on n’allait autrefois à Brighton au vieux temps des chemins de fer ; on va à New-York en quelques heures ; et on fait le tour du monde en trois jours.

À ce merveilleux progrès matériel correspond une décadence morale et intellectuelle qui n’est pas moins frappante. J’ai déjà parlé de la polygamie. La science ne semble plus occupée qu’à accroître les jouissances des heureux et la richesse des riches. L’hypnotisme a pris la place de la médecine et de la pédagogie. Le Trust de l’enseignement a ses hypnotiseurs attitrés qui suggèrent certaines notions à l’enfant : sortes de clous où l’adulte accrochera ses idées. Est-on malade ? On appelle encore l’hypnotiseur, à moins qu’on ne préfère aller mourir de volupté dans une ville de plaisir, car l’Euthanasie est devenue la forme fashionable du suicide pour ceux qui vont au-devant de la mort quand la vie les abandonne.

M. Wells nous a conduits dans une de ces pleasure cities, dans ce délicieux Capri où les arts ajoutent leurs séductions à la magie du ciel et de la mer. C’est le sujet du Rêve d’Armageddon (Twelve Stories and a Dream). On y voit un honnête solicitor de Liverpool qui mène une double vie. Le jour, dans son bureau, au milieu de ses dossiers, il traite les affaires les plus prosaïques du monde. La nuit, il joue un grand rôle parmi l’humanité du xxiie siècle et, finalement, se plonge dans les plaisirs de Capri, aux côtés de la plus adorable des maîtresses. Que fait-on à Capri ? On se repose, on se baigne, on flâne, on se promène en barque, on dîne en plein air et on écoute la musique. N’est-ce que cela ? Mais on en fait autant sur la Riviera et on n’en meurt pas : au contraire. Évidemment M. Wells a dû refréner et mortifier son imagination. Pour peindre Capri, ce n’eût pas été trop du marquis de Sade collaborant avec Pétrone et avec l’Arétin.

Mais revenons au monde de l’action. Il présente l’aspect d’une gigantesque société industrielle avec une aristocratie de gros actionnaires et de hauts employés. Les grands personnages de ce monde nouveau sont les administrateurs de toutes les sociétés