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antiraisonnables, la lutte de l’imagination contre le devoir : ce devoir qui, sous mille formes, nous comprime, nous paralyse et nous attriste. « Votre vie n’est qu’un rêve, dit-elle, mais c’est un rêve ennuyeux. Il en est de plus doux et de plus beaux. » La vie sérieuse s’appelle miss Glendowers : elle veut travailler avec son futur mari à l’amélioration du sort des classes pauvres et au progrès de l’instruction populaire ; elle est frottée d’économie politique et de sociologie ; elle modèle ses pensées, ses paroles et ses actes sur Marcella, l’héroïne de Mrs Humphry Ward. Quant à la sirène, n’était cette queue de poisson, je reconnaîtrais en elle l’éternelle aventurière, sortie des profondeurs de l’Océan social pour incarner aux yeux des hommes la chimère de la vie heureuse et indépendante, où nos désirs nous portent çà et là comme des vagues. À peine Chatteris, le fiancé de miss Glendowers, l’a-t-il vue qu’il subit son charme. Son mariage, sa candidature au Parlement, les belles théories humanitaires ébauchées en commun avec la pseudo-Marcella, tout est oublié. Sa famille s’émeut, ses tantes accourent. Dans le nombre se trouve une caricature assez réjouissante et très anglaise : « Mon neveu veut épouser une sirène ? Hé bien, si elle l’aime, pourquoi pas ? À quoi bon faire tant d’histoires pour une chose aussi simple ? Tout peut s’arranger. Ils habiteront une maison où il y aura une piscine remplie d’eau de mer qu’on renouvellera de temps en temps. Ils auront aussi un yacht pour que ma nièce puisse aller voir sa famille… Au besoin, mon neveu l’accompagnera avec un scaphandre. Il aura très bon air, en scaphandre, mon neveu !… » Évidemment, cela est du burlesque ; mais le burlesque, chez M. Wells comme chez un grand nombre d’écrivains anglais, confine et aboutit à la tragédie. Par une belle nuit d’été le jeune Chatteris suit la sirène au fond de l’abîme. L’imagination a, cette fois, vaincu la raison.

M. Wells traite les gens d’Église encore plus mal que les gens du monde. Dans ses romans, chaque fois qu’il y a une sottise à dire ou à faire, il se trouve à point un dignitaire de la hiérarchie anglicane pour l’exprimer ou pour la commettre. Il y a un clergyman ridicule dans The Invisible Man ; il y en a deux dans A Wonderful Visit. La femme du clergyman elle-même n’est pas épargnée. Dans Love and Mr Lewisham, le héros exprime le souhait de voir toute cette engeance mijoter dans une chaudière d’huile bouillante. Il poursuit la gent ecclé-