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bon de prévenir ceux qui seraient tentés de chercher l’Angleterre contemporaine dans la galerie de figures dessinées par M. Wells que si, parmi ces figures, il est des portraits étudiés avec une pénétrante et consciencieuse finesse, il est aussi des « charges » où la fantaisie de l’écrivain s’est donné libre jeu, où quelquefois sa mauvaise humeur et sa rancune ont exagéré jusqu’à l’absurde le trait et la couleur. Trois groupes ont particulièrement souffert de l’humour agressif de M. Wells : les gens du monde, les clergymen et les professeurs. C’est surtout dans The Sea-Lady et dans The Wonderful Visit que vous trouverez la satire des préjugés sur lesquels est bâtie la société anglaise. Cette satire est généralement gaie, mais, par momens, devient fort amère et légèrement anarchiste.

Un vicaire campagnard, qui a la passion de l’ornithologie, aperçoit dans le ciel un oiseau extraordinaire. Il s’empresse de l’ajuster et lui casse une aile. L’oiseau est un ange qui a perdu sa route dans les airs et s’est fourvoyé trop près de la terre. Le bon vicaire emmène le céleste blessé dans son presbytère, le soigne, lui donne l’hospitalité et le présente à ses amis. N’espérez de l’ange aucune information précise sur le monde d’où il vient. Il a plutôt la mine de s’être évadé d’une vieille toile italienne que de descendre, en droite ligne, du séjour divin. « Cet ange-là n’a même pas lu la Bible ! » s’écrie le docteur appelé pour lui donner des soins. Et c’est vrai. Il n’a aucune parole édifiante à nous dire sur le sort qui attend les belles âmes dans l’autre monde ; il n’y a rencontré aucun de ceux que nous y envoyons. Sa nature ne comporte ni le désir, ni la douleur, ni la recherche du bonheur, ni la vertu par l’effort, notre lot commun. De tous nos arts, il ne connaissait qu’une chose : jouer du violon, mais il en joue à ravir. Il sait l’anglais à merveille, sauf certains mots que l’auteur juge à propos qu’il ignore, afin de justifier ses questions enfantines, ses étonnemens, ses indignations. Tout le choque, et il choque tout le monde. Ainsi la satire est double, et la société anglaise est condamnée deux fois et par les objections de l’ange et par le mauvais accueil qu’elle lui fait. Les vieilles femmes l’insultent, les enfans lui jettent des pierres. « C’est un fou, » dit l’un. « C’est un aventurier, » répond l’autre. D’abord, on l’avait pris pour une femme déguisée en homme. Lady Hammergallow est persuadée que c’est un enfant naturel du vicaire. Sir John Gotch le considère comme un agent socia-