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des longues et vaines attentes dans ces bureaux de placement qui entreprennent de fournir des maîtres à toutes les écoles du monde anglo-saxon et où des fruits secs de l’enseignement et du journalisme se chargent de montrer aux débutans les routes qu’ils n’ont pas su découvrir pour eux-mêmes. Là le jeune homme apprit quelles sont les qualités requises chez un sous-maître dans une école anglaise d’un certain rang. Le candidat doit s’habiller comme un gentleman, faire bonne figure dans les sports, appartenir à l’Église anglicane. De plus, on attend de lui qu’il soit en état d’enseigner les élémens de tout : langues mortes et langues vivantes, l’histoire et l’arithmétique, la série des rois de Juda et les propriétés des angles. Je ne sais quelle était la force de M. Wells au football et au cricket, mais j’ai lieu de penser que la mémoire des grands dandies, les lauriers de Brummell et du comte d’Orsay ne l’empêchaient pas de dormir. L’impitoyable acharnement avec lequel il poursuit l’Église d’Angleterre me fait croire qu’il n’a jamais été membre de cette Église ou qu’il s’en est échappé de bonne heure. Enfin, l’universalité exigée d’un jeune maître devait être aussi un obstacle pour M. Wells qui s’était occupé surtout de biologie. Or, combien y a-t-il d’écoles secondaires qui soient en état de s’offrir le luxe d’un professeur spécial pour cet ordre de sciences ?

Une autre circonstance paralysait M. Wells dans ses premiers efforts pour conquérir une position. Il s’était marié tout jeune. Il a raconté les misères et les joies du pauvre étudiant marié dans un livre charmant où l’idylle et la satire s’enroulent l’une autour de l’autre. Dès son apparition, Love and Mr Lewisham a été signalé ici et jugé par un des collaborateurs de cette Revue avec la sûreté et la maîtrise qui lui sont propres[1]. Je suis par là dispensé d’insister, mais je ferai de fréquens retours vers ce livre soit pour y découvrir l’esthétique et la méthode particulières à l’écrivain, soit pour y chercher des documens sur sa psychologie et sur celle de ses contemporains, de cette foule anonyme dont il représente et exprime les sentimens ou les idées. L’amour et monsieur Lewisham : il y a déjà de l’ironie dans ce titre. Ce « monsieur » dont Lewisham est pompeusement affublé rappelle le « sir » que le pion exige des enfans de l’école et qu’ils ponctuent d’une grimace ou d’un geste

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1900 l’étude de M. T. de Wyzewa.