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disparition afin d’agrandir l’appartement de Madame Adélaïde.

Ainsi disparut, au gré d’un fâcheux caprice, le chef-d’œuvre de Dorbay et de Le Vau, avec ses superbes bas-reliefs, ses marbres incomparables, ses belles peintures où Lebrun avait déployé toutes les ressources de son génie décoratif. Certes, aussi bien que divers plans élaborés par les architectes des bâtimens pour substituer un nouveau palais à celui de Louis XIV, on peut rappeler qu’il existe un projet relatif à la construction d’un autre escalier d’honneur qui eût débouché, près de la chapelle, dans le salon d’Hercule ; mais, ce projet étant resté inexécuté et l’escalier de la Reine, auquel faisait pendant celui des ambassadeurs, desservant l’aile opposée, on est contraint, depuis la suppression ordonnée par Louis XV, de pénétrer dans les appartemens de réception par une étroite et obscure entrée de service ou de les parcourir, comme on le fit encore lors de la visite des souverains russes, au rebours de leur suite logique et naturelle. Pour le château, dont elle altéra profondément l’ordonnance, cette démolition fut donc une perte irréparable. Aucune ne caractérise mieux le rôle de Louis XV à Versailles. D’autres devaient la suivre. Il est vrai que plusieurs de ces destructions furent compensées, dans une assez large mesure, par la beauté des nouveaux appartemens, où l’on retrouve, dans son élégance et sa pureté, l’art charmant du XVIIIe siècle.

Ce n’était nullement, au reste, dans la pensée de rendre, à l’instar de Louis XIV, la demeure officielle de la royauté plus digne de la France que Louis XV, avec la même impatience d’être obéi que son bisaïeul, prescrivait, à chaque instant, de modifier l’aspect de son habituel séjour ; c’était parce qu’il s’y mourait d’un ennui auquel ces incessans changemens de décor apportaient quelque diversion. Aussi à Versailles, de même qu’ailleurs, dès qu’il s’agit de changer quoi que ce soit, pour faire plaisir à ses favorites, à ses filles, à ses courtisans et à lui-même, Louis XV, pour lequel il semble alors que l’argent ne soit rien et qui passe outre à la pénurie du Trésor[1], se montre toujours prêt, heureux si, un instant, il a pu dérouter en lui-même l’obsédant souci de ce perpétuel et périodique retour des actes de la vie qu’exprimait

  1. « Malheureusement que la dépense est énorme en un temps bien opposé. » (Lettre de Lécuyer, contrôleur des bâtimens, 7 novembre 1769).) « L’entrepreneur de la menuiserie a annoncé qu’il ne commencerait à travailler que quand on lui donnerait de l’argent. » (Marigny au Roi, 31 décembre 1769.)