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grandeur, la somptuosité, la magnificence et la libéralité du prince et avouez que Versailles efface tous les palais enchantés de l’Histoire et de la Fable. » Vingt ans avaient suffi à réaliser, dans des proportions que personne n’avait pu prévoir, le rêve des « Plaisirs de l’île enchantée » et à faire sortir de terre « cette ville où le palais du prince était, à lui seul, une grande ville. »

Pour atteindre sans délai le but qu’il avait assigné à ses efforts, rien n’avait paru impossible, ni trop coûteux, à « l’incroyable diligence » de Louis XIV. Dans les comptes des bâtimens, à la date du 23 mai 1682, on relève, entre beaucoup d’autres, cette note caractéristique : « A Vignaux, Lecœur et Martin, maçons, 22 349 livres 9 sous 7 deniers pour parfait paiement de 844 785 livres 15 sous pour les ouvrages de la grande écurie, y compris 120 000 livres de gratification, en considération de la précipitation et frais extraordinaires pour rendre les ouvrages finis et parfaits dans le temps que Sa Majesté l’avait ordonné. » Poursuivis sans relâche, en toute saison, dans des terrains souvent marécageux, tous ces travaux coûtaient très cher, non pas seulement en argent, mais en hommes. Dès 1678, Mme de Sévigné écrivait : « Le Roi veut aller samedi à Versailles, mais il semble qu’on ne le veuille pas par l’impossibilité que les bâtimens soient en état de le recevoir et par la mortalité prodigieuse des ouvriers dont on emporte, chaque nuit, comme de l’Hôtel-Dieu, des charrettes pleines de morts. »

C’était là aux magnificences du tableau une ombre qui devait encore s’assombrir, à mesure surtout que se multiplièrent, à Maintenon, les terrassemens et les arches de l’aqueduc, à jamais inachevé, qui devait amener à Versailles les eaux de l’Eure. Les charges excessives de guerres sans cesse renaissantes, la pénurie d’argent qui, en décembre 1689, avant même que Versailles ne fût totalement achevé, fit envoyer à la Monnaie les admirables ouvrages d’or et d’argent qui en étaient la plus éclatante parure, bref, la misère des peuples, comme on disait alors, allaient forcément enrayer ces prodigieuses dépenses. Mais, dans cette période de la construction de Versailles, au lendemain de la conquête de la Flandre et de la Franche-Comté, il n’y avait guère que Colbert pour paraître se douter que les finances du royaume n’étaient pas inépuisables, et encore n’osait-il guère le révéler au tout-puissant monarque, chaque jour plus impérieux. Sur tous ces travaux, sur toutes ces dépenses, les Comptes des bâtimens