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qu’il n’est rien, croyons-nous, qui éclaire d’un jour plus vif les origines de la future résidence du grand Roi[1]. Toutes ces fugitives allégories qui, durant ces éblouissantes journées, avaient célébré sa grandeur et ses amours, Louis XIV, dès ce moment, résolut d’user de sa toute-puissance pour leur imprimer, en ces mêmes lieux, une sorte d’éternité. Parcourez aujourd’hui encore le château de Versailles, ses appartemens, ses jardins, vous y retrouverez non plus en carton ou en toile brossée à la hâte, mais en marbre et en bronze, sculptées ou peintes par les Coysevox, les Coustou, les Girardon, les Le Brun, les Mignard, les Jouvenet et tant d’autres, toutes ces figures de divinités qui, selon la juste remarque de Félibien, « n’ont pas été placées là au hasard : elles sont relatives au soleil. » Dans tous les projets de décoration de Versailles, cette pensée revient sans cesse, traduite sous toutes les formes ; c’est autour du soleil, qui est l’emblème du Roi ou plutôt le Roi lui-même, que tous ces artistes, dirigés par une volonté souveraine, ont réuni cette cour de dieux, de demi-dieux et de héros, qui devaient faire dire à Montesquieu : « Il y a à Versailles plus de statues que de citoyens dans une ville. »

C’était le Roi que célébraient à l’envi ces courtisans de marbre et de bronze, moins vivans mais plus durables que tous ceux qui, en chair et en os, s’agitaient alors dans ce séjour où leur laudative imagination se plaisait à voir


Ce que le soleil admire :
Rome dans un palais, dans Paris un empire,
Et tous les Césars dans un roi.


Dès qu’il eut décidé de faire de Versailles le siège de son omnipotence et d’y être tout, Louis XIV s’employa à la réalisation de son vaste projet avec une persistante ardeur. Il ne fut point, cependant, sans se heurter, non à des résistances, — qui lui eût résisté ? — du moins à des objections : « Cette maison de Versailles, lui écrivait Colbert, regarde bien plus le plaisir et le divertissement de Vostre Majesté que sa gloire. Cependant, si Vostre Majesté veut bien chercher dans Versailles où sont plus de 500 000 escus qui y ont été despensés depuis deux ans, elle

  1. La Fontaine avait écrit, au lendemain des Plaisirs de l’île enchantée, en 1664 : « Tout le monde a entendu parler des merveilles de ces fêtes, des palais devenus jardins, des jardins devenus palais, de la soudaineté avec laquelle on a créé ces magnifiques choses qui rendront les enchantemens croyables à l’avenir. »