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confirme. M. Waldeck-Rousseau avait déjà donné sa démission, il était entré dans la retraite lorsqu’il a reçu, un jour, la visite de M. le général Percin, alors chef de cabinet de M. le ministre de la Guerre. M. le général Percin lui a exposé tous les détails du système de délation qui fonctionnait rue Saint-Dominique, et, comme il en était lui-même très écœuré, il a parlé de donner sa démission. M. Waldeck-Rousseau l’en a détourné pour des motifs qui n’avaient rien de commun avec l’objet de leur conversation. M. Waldeck-Rousseau resta, comme on peut le croire, très frappé, très inquiet, très ému de ces confidences. Personne peut-être n’avait poussé plus loin que lui la préoccupation des dangers que la République avait courus au moment où il était arrivé aux affaires, et on n’a pas perdu le souvenir des mesures de salut public qu’il a opposées à un mal que son imagination aggravait et grossissait ; mais jamais il ne lui était venu à l’esprit qu’on pourrait combattre le fantôme des conspirations militaires en livrant l’armée tout entière aux plus basses délations. Aussi courut-il chez M. le président du Conseil, pour lui faire part des faits qu’il venait d’apprendre et de l’impression qu’il en avait ressentie. M. Combes parut entrer dans ses sentimens et lui promit d’aviser : il désirait toutefois attendre le retour à Paris d’un sénateur, M. Delpech, retenu alors dans son département par des élections. Il s’adressait bien ! M. Delpech est franc-maçon de haute marque. C’est peut-être pour ce motif que la chose n’a pas eu de suites. Alarmé par M. Waldeck-Rousseau, M. Combes a été rassuré par M. Delpech ; il n’a rien fait, et le système de délation a suivi son cours au ministère de la Guerre. Seulement M. Combes avait perdu le droit de dire qu’il ne le connaissait pas. La note de M. Waldeck-Rousseau n’avait pas été faite pour les besoins de la cause : c’était une de ces notes qu’on jette à la hâte sur le papier pour soi-même, afin de se rappeler plus tard un fait et une date. Mais il en sortait comme une voix d’outre-tombe qui accusait M. le président du Conseil de n’avoir pas dit la vérité à la Chambre, ou plutôt de lui en avoir dit le contraire. M. Combes a tout su, M. le général André a tout su, ils ont tout approuvé. Ils l’ont nié. Tout mauvais cas est niable, dit-on ; mais alors, nier un fait certain est avouer que le cas est mauvais. Et cela s’appelle aussi mentir.

Le débat, ouvert dans ces conditions, offrait aux adversaires du cabinet des argumens nombreux et faciles. Ils en ont usé avec éloquence. Jamais M. Ribot, en particulier, n’avait parlé avec plus de noblesse, de chaleur communicative et d’émotion. Son discours a produit sur l’assemblée une impression profonde. Il ne s’est pas